Il
sappelle Kamel. Une silhouette dégingandée sur la
coursive du premier étage du bâtiment A. Un personnage de
BD avec sa casquette de rappeur. Un enfant grandi trop vite dans une cité
pauvre dune ville du sud. Kamel, cellule 104, à peine trente
ans et déjà détruit telle une éponge repue
de misère, terrorisé par les voix intimes qui lui parlaient
jour et nuit, rongé par les épidémies de son temps.
Aujourdhui, qui écoute la rumeur de la misère carcérale
?
Au cur du tout sécuritaire, qui est encore capable de décrire
la succession des jours inutiles ?
Kamel est parti. « Au suivant ! » Vers où ? «
Au suivant ! »
Que reste-t-il de lui en nous, quelques images volées à
la banalité du quotidien. Sur le stade de la centrale, le goal
de notre équipe de foot qui affronta léquipe pro de
Nîmes. Un plongeon sur la terre battue. Un départ pour lhôpital
psychiatrique dAlès. Une tentative de suicide aux médicaments.
Les pompiers qui lamènent sur le brancard. Un sourire édenté
au retour.
Un jour de canicule en juillet, ils lont jeté au cachot.
Puis au QI. 50° sous le toit. Les grilles et les vitres dépolies
pires que la porte dun four. Pour survivre, il faut vivre mouillé.
Même les plus solides croient y perdre la raison.
Kamel devait sortir en septembre.
Un matin, le sang sous sa porte donna lalarme.
Kamel sest tranché le sexe avec une lame de rasoir !
Qui est responsable ?
Ni le directeur, puisque Kamel avait demandé à être
isolé. Ni le médecin qui lavait sorti du mitard, ni
le psy qui le cachetonnait de remèdes de cheval. Alors qui ? La
fatalité ?
Lan dernier, nous avions déjà bloqué la prison
pour le faire sortir du QI et du mitard. Après sa tentative de
suicide, une responsable avait répondu à nos craintes :
« On a lhabitude, on gére ça très bien
! »
Que faisait-il en prison et non dans un centre de soins ? Qui est responsables
de ces quelques semaines de trop ? Qui est responsable de son délabrement
psychique au cours de ces années ?
Le sytème. Oui ! Le système carcéral dans tous ses
rouages dinhumanité, de désintérêt social,
de solitude dans la multitude, de répression décervelée.
Qui est complice ?
Ceux qui croient naturel et réglementaire de laisser faire.
Ceux qui espèrent que cela va changer par lopération
du saint esprit, par la bonne volonté de quelques samaritains ou
délus vendant de lillusion.
Ceux qui laissent construire des sections psychiatriques dans les
centrales et les centres de détention, ceux qui ne soffusquent
pas que près dun quart de la population pénale souffre
de troubles psychotiques, ceux qui y voient une fatalité étrangère
à la gestion des prisons, au maintien coûte que coûte
des malades en détention.
Pour quelques jours de plus et de trop, Kamel est mutilé à
vie.
La prison est un moyen de gestion de la précarité et de
la pauvreté. Elle devient également un lieu de répression
des maladies mentales et un mouroir pour des milliers de détenus
atteints de maladies incurables.
Libération des détenus atteints de maladies incurables !
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