Vendredi
27 juillet, cest jour de parloir. Anissa, la petite amie de Ralphe,
a obtenu exceptionnellement le double du temps de visite habituel. Ils
sont installés dans la cabine n° 2, entre deux autres, juste
séparées par une légère cloison. Au bout dune
demi-heure, les deux amoureux se chamaillent, comme cela arrive à
nimporte qui, dedans comme dehors, sauf que les visites en prison
sont bien plus tendues, chargées démotions, de dialogues
souvent faussés par un timing imposé et par une issue toujours
pénible, le retour cellule, chacun dun côté
de la grille. Un maton intervient et demande à Anissa ce quil
se passe, elle répond que tout va bien et Ralphe lui demande de
les laisser tranquilles et lui dit quils nont besoin de personne
pour régler leur différend. Le maton, au doux surnom de
Rambo, ne doit pas apprécier le ton de Ralphe, le traîne
en dehors de la cabine et appelle du renfort. Ralphe se débat,
est mis à terre, roué de coups par les gardiens, qui ont
pris soin denfiler des gants. Tout le monde proteste, les familles
et les prisonniers qui assistent impuissants à la scène.
Anissa est emmenée fermement dehors et perd une dent au passage
dun coude de maton. Le médecin de la prison refusera dindiquer
que le coude frappeur appartenait à un surveillant. Premier faux
témoignage.
Ralphe est traîné directement au mitard. A Grasse, le quartier
disciplinaire est au centre de la prison, et visible dune bonne
partie des cellules de la détention. Selon deux témoignages,
lun dun taulard déjà au mitard et lautre
dun copain de Ralphe qui se trouvait dans une cellule juste au-dessus
du cachot, les matons entraient très régulièrement
pour tabasser Ralphe ; jusque-là ils pouvaient entendre ses cris
de protestation. Puis, le samedi, juste après le passage de la
gamelle, le copain du dessus lui dit quil va manger et quil
reviendra rapidement lui parler à travers les barreaux, «
Tiens bien le coup » ; un autre lui conseille darrêter
de gueuler en lui assurant que cela ne sert à rien. Les cris sarrêtent
à 18 heures et ne recommenceront plus. Les prisonniers autour du
mitard commencent à voir une fumée noire sortir du cachot
vers 20 heures ; comprenant immédiatement que le matelas est en
train de brûler et sachant très bien que ces vapeurs sont
mortellement toxiques, ils se mettent à crier, à taper sur
les barreaux pour prévenir les matons. Des prisonniers sonnent
à linterphone et expliquent que la cellule est en feu, les
matons leur répondent par des rires et mettront une heure trente
avant dintervenir. En fait leur intervention se limitera à
ouvrir la première porte et à asperger la cellule avec un
extincteur à travers la grille du mitard. Par la suite les prisonniers
sont certains davoir vu entrer un camion de la morgue et non une
ambulance. A leurs questions, on répond que tout va bien, que Ralphe
aurait été emmené à lhôpital et
que ses jours ne seraient pas en danger.
Pendant ce temps, le directeur de la taule prévient la famille
par téléphone en leur annonçant très froidement
le suicide de leur fils. Après un moment de désespoir intense,
M. Hamouda réagit, il sait que son fils navait pas lintention
de se donner la mort, il sait que, contrairement à ce qui sera
dit ensuite, son fils na jamais eu de tendances suicidaires, quil
avait des projets, quil était très bien entouré.
Il ne croit pas à ce quon lui raconte. La nouvelle va vite
dans la cité, tout le monde connaissait et appréciait Ralphe.
La tension continue de monter dans la prison, des bruits commencent à
courir, on craint pour la vie du copain. Le dimanche soir, les télés
sont coupées, empêchant les prisonniers dapprendre
par les infos la mort de Ralphe. Pourtant quelques-uns entendent la nouvelle
à la radio. On imagine aisément le climat dans les cellules
pendant la nuit, et le lendemain matin, dès louverture des
portes, cest le début des hostilités. Nous navons
pas de récit détaillé de lémeute, aucun
témoignage direct ne nous étant parvenu à ce jour,
mais les familles qui avaient pu voir leurs enfants au parloir ont assuré
quil ne sagissait absolument pas dune bagarre entre
prisonniers mais bien dun mouvement de protestation contre la mort
suspecte de leur ami. Lémeute a duré la journée,
les seules armes dont disposaient les mutins étaient leurs vêtements,
auxquels ils ont mis le feu. Et si les CRS ont effectivement tiré
des balles en caoutchouc, il semblerait que les matons postés aux
miradors, voyant quelques mutins courir vers les enceintes, ont tiré
à balles réelles. Officiellement on dénombre onze
blessés, mais les témoins directs ont dit que lun
dentre eux était resté sur le sol, grièvement
blessé, et que lon était sans nouvelles de lui
Avant le retour définitif à lordre, il y a eu une
altercation dans un couloir entre le directeur et deux prisonniers qui
ont pu le raconter : J.-F. Allègre et Chaïr Touati. Comme
ils laccusaient formellement davoir tué Ralphe, le
directeur, soucieux de montrer lexemple à ses subalternes,
na pas hésité à entamer une nouvelle sérénade
de tabassages en assénant un formidable coup de pied dans les testicules
de JF qui a quand même eu le temps de lui cracher au visage. Piqué
au vif, le directeur lui a promis de rapides retrouvailles après
un transfert obligatoire
Un premier groupe dune centaine de taulards est transféré
le soir même, direction les Baumettes, Luynes, Draguignan
La prison est désormais aux mains des CRS. Le mardi, les familles
organisent spontanément une marche silencieuse regroupant plus
de deux cents personnes jusquà la maison darrêt
: elles subissent les provocations habituelles des flics qui aimeraient
bien voir tout ça dégénérer, les proches ne
craquent pas. Devant la prison, ils assistent à la sortie dune
nouvelle fournée de transferts, depuis les cars les enfants crient
« Ils ont tué Ralphe, ils ont tué Ralphe ! »
Aujourdhui, la famille, les proches, les témoins cherchent
à sorganiser pour démontrer publiquement quil
ne sagit pas dun suicide : dès le mardi, la famille
Hamouda a porté plainte pour non-assistance à personne en
danger. le juge dinstruction nommé pour soccuper de
laffaire a ordonné une autopsie. Trois semaines plus tard,
aucun rapport na été donné à la famille
ou à leurs avocats ; pourtant dans un courrier plein de tact, le
juge prétend que lautopsie napporte aucun élément
nouveau pour lenquête et nautorise linhumation
du corps que sur le territoire français. Les parents attendent
toujours avec beaucoup dimpatience le résultat officiel de
lautopsie, car ayant vu et bien vu le corps à la morgue,
ils ont de fortes raisons de douter de la version officielle de lasphyxie
par inhalation de vapeurs toxiques.
LAdministration pénitentiaire a très rapidement prétendu
que la prison avait été sérieusement détruite.
Cest plus que curieux, car, dès le surlendemain, les parloirs
pouvaient reprendre, et nous sommes allés voir, il ny a aucun
signe dincendie de lextérieur, les cours de promenade
sont intactes
On ne peut expliquer les deux cents transferts de
cette façon. Dautant plus que la direction a cru nécessaire
dajouter un mensonge en prétendant que « les transferts
sont devenus indispensables, vu létat de dégradation,
notamment des trois cours de promenade et de linfirmerie (
)
les détenus transférés sont tous des condamnés,
donc appelés à quitter la maison darrêt de Grasse
». Les familles lont confirmé, la plupart des prisonniers
transférés sont des prévenus.
Tout est là pour faire penser que les transferts ont pour seul
motif dempêcher des témoignages, en isolant les prisonniers,
en exerçant des pressions disciplinaires sur les plus déterminés,
pour faire peur. Comme toujours, le pouvoir va laisser jouer le temps,
misant sur loubli, sur la séparation des témoins potentiels
ou en sappuyant sur des procédures comiques si elles nétaient
pas tragiques qui veulent convaincre de la version du suicide : linstruction
a même pensé pouvoir prouver létat de faiblesse
psychologique de Ralphe en conservant des posters que les deux amoureux
avaient échangés : Anissa avait adressé un poster
de J.-C. Vandamme en le faisant passer pour son nouveau fiancé
et Ralphe avait répondu à la plaisanterie en renvoyant un
poster de Pamela Anderson
On voit où en est lenquête
et cela promet !
Il ne faut pas oublier non plus que la situation pour certains transférés
est délicate, ils ont vu et entendu des choses susceptibles de
mettre à bas la version officielle. Quelques-uns ont leur famille,
un avocat pour veiller à ce quils ne subissent pas de pression,
dautres sont bien plus isolés et dautant plus vulnérables
quils ont subi des menaces précises de la direction. Nous
ne savons pas combien se trouvent dans cette situation, nous en connaissons
deux que les proches ont demandé à identifier publiquement
afin quil ny ait pas de mauvaises surprises : J.-F. Allègre,
détenu au grand quartier des Baumettes et Chaïr Touati, enfermé
au mitard des Baumettes. Tout courrier sera le bienvenu.
Les parents lont assuré, ils ne lâcheront pas. Ils
sont décidés à aller jusquau bout, aussi long
cela soit-il. Nous nous engageons à rester à leurs côtés,
pour cracher à la face de ceux qui enferment et continuent de tuer
entre les murs, nous saurons briser la loi du silence qui règne
entre les murs des geôles françaises. Nous saluons le mouvement
de protestation qui a suivi lannonce du décès et ferons
tout notre possible pour que tout ceci ne tombe pas dans les oubliettes
macabres des archives de lAdministration pénitentiaire .
|