Yves Perrat
écrou 121793J
Bât B 3e cell 30 80
MA des Baumettes, 2/3 chemin de Morgiou,
13009 Marseille.
Il y a peu, je me trouvais à la MA de Luynes
dans le cadre de mon passage en appel. Celui-ci a été très
rapide, trente secondes montre en main, le temps de confirmer mon renoncement
à celui-ci, (cétait plus prudent vu le président
auquel javais affaire, bien connu par les détenus pour alourdir
de un à deux ans selon les cas, les peines avec lesquelles on se
présente devant lui) et de mapercevoir que le président
Trille mérite bien son surnom de TGV. Ces quinze jours à
Luynes furent pour moi loccasion de comparer deux établissements
et deux formes de gestion différentes. En effet, Luynes est une
de ces prisons-usines du plan 13 000, ouvertes au début des années
90. Au niveau des conditions matérielles, elle est plus propre
que les Baumettes, les cellules sont pourvues en eau chaude et les chiottes
ont une porte. Pour le reste, les relations avec les surveillants sont
réduites au minimum, tout est automatisé et se gère
à partir dun point central : ouverture des portes des couloirs,
appels
Partout des caméras. Les promenades ne sont que de deux heures
au lieu de trois aux Baumettes et la cour est divisée en deux par
un grillage. La population carcérale est très mélangée
: on retrouve côte à côte délinquants sexuels
de tous les âges et maris meurtriers de leur femme ou de lamant
de celle-ci, petits dealers de shit et gros truands, chefs dentreprises
véreux et voleurs de poules. Ce mélange empêche toute
solidarité concrète, hormis celle dintêret.
Jen ai eu une preuve flagrante le lendemain de la grève nationale
des gardiens, où lon est resté enfermé toute
la journée, sans bouffe, sans promenade ni parloir. Histoire de
marquer notre désapprobation javais proposé un blocage
de promenade à la remontée. Jai vite compris quil
ne fallait rien attendre de lensemble de la détention puisque
nous nous sommes retrouvés trois à refuser de monter. Nous
navons pas insisté car dans beaucoup de ces MA, lAP
joue la division en mélangeant tout le monde. A Luynes, les «
pointeurs » servent de défouloir à lensemble
de la détention tandis que le shit qui circule ouvertement joue
son rôle de camisole ainsi que la télé. Il
est vrai quun détenu défoncé nest pas
un détenu revendicatif. La particularité, donc, de Luynes
est dêtre gérée, hormis la surveillance et le
greffe, par le privé à tous les niveaux, que se soit le
nettoyage (Onet), la bouffe (Eurert), la cantine et jusquau médical
qui est à la charge du libéral, avec les résultats
que lon connaît. Ainsi il y a deux ou trois mois un détenu
est mort au QI après une absorption de médocs, le médecin
ayant certifié que son état était compatible avec
la détention en isolement. Le psy et linfirmière principale
venaient dêtre quant à eux condamnés à
six mois de prison avec sursis, leur responsabilité étant
engagée dans la mort dun détenu dorigine comorienne
lors dune crise dépilepsie, seul dans sa cellule. Joubliais.
Laffaire sest déroulée en 91, il a fallu dix
ans de procédure pour arriver à ce résultat ! et
là encore la responsabilité de lAP nest pas
évoquée. Outre le nettoyage et la bouffe, il y a aussi possibilité
de travailler pour ceux qui le veulent dans des ateliers pour des
boîtes privées à des salaires de misères. Aux
alentours de 2 000 balles par mois pour trente-cinq heures par semaine.
Un des gars qui y travaillait ma expliqué que son boulot
consistait à enlever les étiquettes « made in Taiwan
» des tee-shirts et de les remplacer par des étiquettes «
made in France ». Pour certaines entreprises, les prisonniers sont
une main-duvre taillable et corvéable à merci,
ou au mieux des consommateurs « libres » de pouvoir soffrir
tous les produits quils veulent sils en ont les moyens. Une
de ces boîtes est la Sodexho, qui investit au USA, en Angleterre
et en Australie. Il y a quelques années son PDG était un
des principaux financiers du MPF de Philippe De Villiers, alliant ainsi
sa vision politique à celle de son business. On assiste ainsi dans
ce type détablissement au développement dune
prison à trois vitesses avec, au sommet, ceux qui peuvent soffrir
tout se quils veulent grâce à leurs mandats conséquents,
en dessous, ceux qui sont obligés de travailler pour se payer le
juste nécessaire et enfin, plus bas encore, ceux qui nont
rien et qui survivent en faisant du business de shit ou en rackettant
les plus faibles (pointeurs, minots isolés et vieux). Bref on retrouve
à lintérieur cette pyramide, symbole de notre belle
société à lextérieur. Beaucoup de jeunes
sont enfermés à Luynes. Tellement quun bâtiment
(le A) leur est spécialement réservé. Cest
le plus dur de toute la détention. Les surveillants qui y travaillent
sont volontaires, et la manière forte y prédomine. Cela
nempêche pas certains minots de penser à la belle.
Il y a deux ou trois mois certains ont réussi à se laisser
enfermer au gymnase et à écarter les barreaux avec des barres
dhaltères pour se retrouver à lextérieur,
et se balader dans la prison. Ils ont ainsi déclenché les
alarmes volumétriques dans toute la prison, ce qui a nécessité
lintervention de plusieurs BAC dAix-en-Provence. En effet,
la nuit, il ny a que quatre gardiens dans la détention du
fait de lautomatisation. Jai quand même réussi
à discuter deux minutes avec le sénateur du PC Robert Bret,
qui accompagnait la délégation, car membre de la commission
denquête parlementaire sur les prisons et qui fut un de mes
témoins lors de notre procès (FTP). Jai pu lui passer
une lettre pour le directeur des Baumettes, concernant un détenu
politique kurde en grève de la faim depuis quarante-cinq jours.
Pour ma part, la mienne sachève bientôt (trois semaines).
Les deux premières sinscrivent dans le cadre de la campagne
de solidarité avec les grévistes de la faim turques et kurdes,
menée par plusieurs détenus PP et sociaux en France, la
dernière étant en solidarité avec le détenu
kurde des Baumettes. Dans sa dernière lettre celui-ci mécrivait
sa faiblesse mais aussi sa détermination à aller jusquau
bout. Voilà les dernières infos de la détention.
Au mois daoût, je passe devant la CAP pour une libération
conditionnelle. Mais jy vais sans illusion. Le chef de détention
du bâtiment B ma confirmé que je ne lobtiendrai
pas. Jattends donc mon transfert pour Chalon autre prison 13 000,
pour septembre. Dici là je pense que jaurai loccasion
de vous écrire.
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