Fresnes, Fleury, Rennes, Lyon,
Loos, Rouen, Marseille
Voilà, dans lordre, la liste des maisons darrêt
où lon se suicide le plus !
Pour lannée 99, toujours daprès les statistiques,
au niveau national, tous les trois jours, un détenu quittait cette
terre
Ultime transfert pour le cimetière !
Quant aux tentatives de suicide, elles sélevaient à
un millier, soit une moyenne de trois par jour ! Cest-à-dire
de plus en plus de candidats pour un aller sans retour
Ainsi lenfer semble moins pénible que la prison ! Ne croyez-vous
pas quil est temps de se poser des questions ?
Ici voyez-vous, le suicide est partout :
Avaler de leau de Javel, des fourchettes ou autres
Se pendre avec ses draps, se tailler les veines à coups de lame,
se gaver de cachets jusquà lOD, etc. La liste est longue
encore
Les moyens sont ultimes, les causes diverses mais le but est commun :
Mettre un terme à une souffrance insoutenable, préférer
la tombe à la cellule, le repos éternel au combat incessant
de la vie en son-pri
Comme la si bien dit Philippe Maurice, « la vie sans liberté
me faisait aimer la mort »
Si le suicide en milieu carcéral est devenu un phénomène
presque banal, il nen est pas moins complexe. Sa signification ne
peut se réduire à la simple opposition entre courage et
lâcheté ! Pour les détenus, le suicide est vécu
comme une issue de secours pour se sortir de cette impasse où la
vie a pu vous mener, comme une solution ultime pour se débarrasser
des chaînes que représentent les contraintes imposées
par le temps, lespace et surtout le système en place, comme
une alternative à la dépression ou à la folie
Afin de mieux comprendre ce qui peut amener un si grand nombre dentre
nous à envisager de se suicider, permettez-moi de planter le décor
brièvement :
Au cur de cet univers de béton,
de pierres et de fer, nous évoluons
Entre silence de mort et hurlements
Une ombre menaçante plane au-dessus de nos têtes
Non, ce nest pas la guillotine mes amis
Cest la torture blanche comme ils disent en Turquie !
Violence psychologique, torture individuelle
Tourments plutôt abstraits mais pas virtuels
Larme des temps modernes :
lisolement associé à de multiples brimades, à
cette somme de petits riens
Tout est mis en place pour nous mettre la pression,
nous donner limpression de nêtre plus rien,
nous enlever tout amour-propre,
dépouiller notre existence de tout son sens,
ôter de nos vies leurs valeurs et faire en sorte quelles ne
soient plus que douleur
Quand autour de nous tout sacharne à vouloir nous noyer,
Comment trouver au fond de soi assez de force et de volonté
Pour remonter à chaque fois quon tente de vous rabaisser,
Sortir la tête de leau et se maintenir à la surface
?
Lorsque au royaume des vivants,
vous avez le sentiment
de navoir plus votre place
Surtout quand vous navez plus de liens,
À lextérieur, plus aucun soutien
Que lindifférence générale et votre solitude
vous font si mal
Et quand bien même vous auriez du courrier, des parloirs
Pour vous redonner espoir
Cest si peu comparé à la douleur dêtre
loin des vôtres,
au manque de communication et daffection,
au fait dêtre toujours considéré comme un être
inférieur
Bien sûr, le besoin des matons de faire valoir
un supposé pouvoir
semble bien dérisoire
Mais il suffit dun moment de désespoir
Pour ne plus croire à une vie meilleure,
et basculer dans lantre de la mort
Quant à mon expérience personnelle, mes tortionnaires mavaient
tellement cassée que mes ressources sétaient épuisées,
jétais fatiguée de « batailler », javais
fini par croire que ma vie nétait plus vouée quà
lincompréhension, à limpuissance et à
la frustration !
En effet, à un moment donné, je me suis demandé «
Pourquoi continuer à lutter ? Pour qui ? Pour moi sûrement
pas ! » Je me disais que ce monde pouvait très bien se passer
de moi, jétais tellement dégoûtée que
jai fini par tout niquer et je me suis retrouvée à
lhôpital
Dailleurs voici quelques lignes écrites juste avant de péter
les plombs, dans un moment de désarroi total :
« Ma tristesse na dégale que ma détresse,
ma souffrance na dégale que mon impuissance,
ma violence na dégale que lindifférence,
ma peine na dégale que lintensité de ma
haine
Plus aucune étoile dans le ciel,
plus aucune chaleur dans mon cur,
plus aucune couleur dans mon âme.
Pas même un rayon de soleil qui illuminerait ma vie !
Par la nature abandonnée, par les hommes délaissée,
que peut-il bien me rester ?
Hormis cet indicible et formidable espoir qui me lie à la vie et
méloigne des tourments de lenfer et de la mort
»
Au fond je ne réclamais
quun peu dhumanité
et moins dinjustices
! Mais ces lignes en disent plus quun long discours, nest-ce
pas ?
Sur ce, je tiens à rendre hommage à toutes celles et ceux
qui nous ont quitté
Paix à leur âme !
Et je rends également hommage à toutes celles et ceux qui
comme moi ont finalement choisi de vivre et de se battre
!
Je souhaite à tous courage, force et détermination !!!
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