à
Madame Martine Viallet,
Directrice de lAdministration pénitentiaire
Clairvaux, le 9 juillet 2001
Madame,
le 26 Juin, profitant dune excursion culturelle à labbaye
de Clairvaux, vous nous avez fait lhonneur dune visite au
parcours soigneusement balisé, avec en prime le premier concert
organisé depuis 10 ans. Je me doute que vous navez pu atteindre
le poste que vous occupez sans un certain cynisme, et la vue dun
directeur tremblant à la crainte du moindre incident vous est sans
doute familière ; vous ne serez donc pas étonnée
que lencadrement se soit félicité de votre écoute
et du bon déroulement de la visite. Mais, en tant que détenu,
je me refuse à cautionner la comédie qui sest jouée
à linsu de tous ceux qui auraient pu vous décrire
la réalité du centre pénitentiaire.
Bien que Clairvaux ait une infrastructure de base, il semble que tout
y soit laissé a labandon : locaux disponibles sans usage
réel, deux machines à laver familiales et un poste téléphonique
par bâtiment, matériel sportif non entretenu (un détenu
victime du coup du lapin causé par le sectionnement dun câble
usé se promène avec une minerve). Paradoxalement la réfection
des cuisines a eu pour conséquence une dégradation de la
qualité des repas servis. Le dysfonctionnement de la prison se
situe à tous les niveaux : aucun journal intérieur ; une
télé interne à labandon, et malgré largent
prélevé, aucune cassette na jamais été
louée depuis des années ; un professeur de sport inutile,
qui na quun rôle de surveillant. Clairvaux est la seule
prison où (depuis des années) aucune rencontre sportive
interbâtiments ou avec le CD na été organisée
par la direction. Rien ne justifie les 300 francs pris chaque mois sur
les salaires des travailleurs, puisque rien nest fait pour aménager
notre situation : pas dactivité, absence de stage ou de quoi
que ce soit laissant espérer une réinsertion. Le nombre
de tentatives de suicide au début de lannée montre
la désespérance qui en découle.
Il existe des écarts parfois scandaleux entre le prix des cantines
et ceux de lextérieur, avec une pesée plus quapproximative.
Le 12/12/2000, un détenu ayant constaté que ses commandes
de fruits et légumes ne correspondaient jamais au poids indiqué
a exigé une pesée : sur 5 kilos de denrées différentes,
les écarts étaient de 80 à 140 grammes : soit un
manque denviron 550 grammes sur 5 kilos. Le gradé présent
a eu limprudence de reconnaître que deux surveillants étaient
dans le collimateur de la direction ; mais, bien sûr, il ny
aura aucune suite. Sachant que le poivron rouge était facturé
30 francs, on peut imaginer combien rapporte plus dune demi-tonne
détournée dans lannée. Clairvaux est la seule
prison française où les fruits de saison ne peuvent être
achetés quen cantine extérieure, ce qui a pour conséquence
de mauvaises surprises quant aux prix lors de la livraison. Des plaintes
ont été déposées pour des logiciels protégés
par la loi mais pourtant recopiés, piratés par les agents
lors dachats faits par les détenus à des commerces
extérieurs. Tout est opaque dès quil sagit dargent
: des contrats non respectés (les mêmes télés
et frigos depuis des années), une association culturelle dont le
détenu ne sait rien, du matériel qui part pour réparation
et qui ne revient plus, etc. Bref ! un Etat dans lEtat qui fait
vivre bien au-delà des murs, Clairvaux est une poire juteuse qui
mériterait un contrôle autre que celui de la direction régionale.
On vous a fièrement fait visiter les nouvelles salles dinformatique
(« dun coût exorbitant », aux dires de madame
Dupaty), elles sont en réalité composées dordinateurs
de récupération, Pentium de 16 Mo datant de 1995 ; elles
ne sont accessibles quune fois par semaine, durant deux heures,
pour un enseignement quasiment obsolète, puisque madame Dupaty,
qui se pique de connaissances informatiques, sest arrangée
pour quil en soit ainsi ; toujours la poudre aux yeux, ce qui explique
quau bâtiment B seuls deux détenus participent aux
cours. De même, la bibliothèque récemment informatisée,
au sujet de laquelle madame Prost, la responsable, a sans doute omis de
signaler linterdiction (quelle attribue au directeur) faite
aux bibliothécaires déchanges entre les bibliothèques
des bâtiments A et B ou celle du CD ; doù des dépenses
inutiles pour des doubles ou triples exemplaires et la frustration pour
ceux qui aiment lire. Mais quimporte, cest le nombre qui compte
: une vitrine pour lextérieur.
Il ne faut pas compter sur le service socio-éducatif pour quil
y ait une amélioration, il estime que son principal travail est
de participer au chantage du recouvrement des parties civiles contre un
aménagement de peine illusoire ; une hypocrisie justifiée
par les 2,5 % attribués au greffier-comptable, à qui il
faut faire plaisir. Accordons la franchise à madame Prost : «
Je ne suis pas assistante sociale, mais éducatrice formée
par la Pénitentiaire avec un droit de veto lors des commissions.
» Malheur au détenu psychiquement fragile dont elle a la
responsabilité du dossier ; sil y a suicide, sa seule préoccupation
est que le personnel ne soit pas mis en cause. Cest bien sûr
à elle, quon surnomme la Matonne, qua été
confiée la responsabilité des activités. Bilan :
des rapports conflictuels et un travail qui se résume à
de la poudre aux yeux.
La contamination a même atteint le service médical, qui ne
dépend pourtant plus de la Pénitentiaire ; on ne vous prend
au sérieux que si opposez un rapport de force. Les récriminations
saccumulent contre le docteur Gauthier, dont les diagnostiques lénifiants
finissent par lasser. Un exemple parmi tant dautres : un détenu
dont les oreilles infectées par suite de mauvais traitements en
Guyane sont soi-disant inguérissables se voit refuser lextraction
dun matériel de synthèse du péroné ainsi
que la prise en compte dun poignet en piteux état. Il lui
faudra attendre plus dun an avant dêtre envoyé
à lhôpital de Fresnes, mais seulement après
un passage au mitard pour avoir tout cassé en signe de protestation.
Le dysfonctionnement de Clairvaux ne peut exister que parce que le directeur,
monsieur Danet, joue les hommes invisibles, et se complaît dans
des notes de service puériles ou ubuesques qui prouvent son manque
dautorité sur la petite Camora locale. La prison est en réalité
dirigée par la sous-directrice, madame Dupaty, qui perpétue
la tradition familiale en accord avec le groupe le plus réactionnaire
de lencadrement, doù sa propension à privilégier
le mitard à une gestion positive de la prison. Le plus dramatique
est quainsi elle se rend complice de lintolérance,
qui ici est poussée à lextrême, à légard
de toute différence . Des mouvements ont eu lieu pour dénoncer
des provocations ; et que dire de surveillants qui incitent à des
règlements de comptes entre détenus. Ce n'est pas un hasard
si le 31 mai un camarade guadeloupéen, las des provocations racistes
et du mitard gratuit, est entré dans le bureau des gradés,
quil a incendiés avec des cocktails Molotov. Politiquement
du pain bénit pour les syndicats FO, qui annoncent sans rire que
seize membres du personnel ont été intoxiqués (venus
doù ?), mais bizarrement pas un seul détenu, tant
il est vrai queux nauront droit à aucun dédommagement,
puisqu'ici laspect financier nest jamais loin. Pour preuve,
les 80 000 francs de réfection (madame Dupaty dixit) : quand on
sait ce quest un bureau de gradé, il y a de quoi rire. Le
racisme et le clanisme sont si forts que cela tourne au délire
: certains surveillants ne supportent même pas dêtre
commandés par monsieur Mouopock, un surveillant-chef de couleur
; et lon essaie de créer la zizanie avec les détenus
en faisant disparaître de son bureau léphéméride
sur lequel sont notés les rendez-vous téléphoniques
; un brigadier va jusquà inciter un détenu particulièrement
instable à lagresser, en assurant que les gardiens fermeraient
les yeux. Bien sûr, on se débarrassera du détenu en
le faisant transférer à la suite dun piège
grossier, mais on ne pourra pas empêcher quune plainte soit
déposée ; quoiquil en soit, la pression est couronnée
de succès, puisque nous savons que monsieur Mouopock a fait une
demande de mutation.
Si un surveillant-chef se casse les dents, quelles défenses ont
les détenus ? En théorie, ils devraient pouvoir sadresser
au juge dapplication des peines, mais madame Jacob, qui est en place
depuis si longtemps, a passé un modus vivendi avec le système
Clairvaux : on ne conteste aucune de ses décisions, et elle, en
contrepartie, ferme les yeux sur la gestion de la prison, et prend pour
argent comptant toute déclaration de lencadrement. Elle se
dit opposée à la violence, mais dans la réalité
elle est complice de celle couverte par la direction, et toute sanction
de mitard a son approbation. Magistrate timorée devant ses responsabilités,
elle joue du tout-répressif, et bien sûr, comme tous les
faibles, jouit du petit pouvoir quelle a sur des êtres humains,
avec ses propres critères de réinsertion qui vont à
lencontre de la réalité sur le terrain. Elle se sent
si inattaquable quelle fait fi de la déontologie : en règle
générale, dans les prisons françaises, on sanctionne
un détenu en lui retirant un jour de grâce par jour de mitard
avec sursis, et deux jours pour chaque journée ferme ; elle nhésite
pas à retirer a un codétenu cinq mois de grâce pour
une sanction de vingt jours avec sursis (bien quil ny ait
eu aucun précédent depuis plusieurs années), pour
le simple fait quil lui est antipathique et se refuse à plier
devant elle. Un autre détenu, en prison depuis vingt-sept ans,
lui demande une audience pour étudier une éventuelle conditionnelle,
et bien quelle vienne très souvent à la centrale dans
le seul but de consulter un dossier, elle ne daignera pas le recevoir
durant les six mois suivants. Las dattendre, il demande une audience
au directeur pour se plaindre ; là aussi, cest le coup du
mépris. Un mois plus tard, le détenu pète les plombs
et casse sa cellule avec la satisfaction dêtre enfin reçu,
mais dans le prétoire. Il demande la présence dun
avocat (doffice), celui-ci ne peut ou ne veut se déplacer
; la sous-directrice refuse que le procès soit repoussé,
le condamne à trente jours de mitard, avec lhypocrisie de
ne pas lui donner les quarente-cinq jours qui nécessiteraient laval
du directeur régional ; et enfin la JAP le reçoit et lui
promet un proche transfert au CNO. Lexplication de cette injustice
est que ce détenu est livré à lui-même, donc
négligeable ; cest ainsi que fonctionnent Clairvaux et madame
Jacob.
On pourrait sétonner à lire ce qui précède
que la prison ne soit pas en permanence en ébullition. Cest
simplement parce que, jusquà ces derniers temps, elle était
réservée aux longues peines qui savaient navoir à
faire que deux ou trois ans avant de pouvoir demander une nouvelle affectation
; transfert manu militari pour les plus récalcitrants, une gestion
au coup par coup avec une bonne dose de laxisme pour les autres, et un
seul point vraiment positif : un boulot pas stressant avec la possibilité
de ne travailler que le matin dans des ateliers gérés de
façon pragmatique par monsieur Pélissier, qui bien sûr
nappartient pas à lAP. Mais en faisant de Clairvaux
le terminus pour ceux quon estime difficilement gérables
(quelle que soit leur peine), et en donnant des illusions à ceux
quon a voulu enterrer vivants, cette façon de gérer
nest guère réaliste et la contestation ne peut que
sinstaller durablement.
Bien que je ne me fasse guère dillusions sur lutilité
de ce témoignage, je vous prie dagréer, Madame, lexpression
de mes sentiments les plus distingués
. P.S. : copies communiquées à madame Jacob, juge dapplication
des peines, à lOIP, à Libération et au Monde.
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