Tout le système
judiciaire étant basé sur laveu, tout est mis en place
pour faire craquer le prévenu. Interrogatoires, pressions psychologiques,
tabassages, à chaque étape qui amène un homme en
prison, il est harcelé pendant la garde à vue, au dépôt,
pendant linstruction. Cest cette « prise en charge »
qui le dépossède de toute liberté de mouvement, de
décisions, et qui laccule à cette situation dattente
permanente ; procès, conditionnelle, grâces. Le prisonnier
est conduit en cellule, une fois la porte fermée, cest le
vide.
Dans cet univers mortifère, il y a douze fois plus de suicides
quà lextérieur, ceux-ci ont souvent lieu dans
les premières heures de lincarcération et concernent
principalement des jeunes (chiffres pour 2000).
Les situations qui conduisent un prisonnier à se suicider sont
complexes et variées, nous ne prétendons pas analyser le
pourquoi de cet acte désespéré. En revanche, ce qui
est visible cest quun homme que la justice a enfermé
et qui se suicide est un homme condamné à mort, toute la
bonne conscience humaniste dont les politiques, les juges, les criminologues,
sociologues
se sont couverts en abolissant la peine de mort ne changera
pas cet état de fait.
En dehors de la volonté du prisonnier den finir, sa mort
résulte de la non-intervention du personnel de lAdministration
pénitentiaire et autres, notamment médecins, assistantes
sociales
qui, en bons fonctionnaires, estiment que venir en aide
à un homme qui agonise ne rentre pas dans leurs fonctions. Ils
doivent le garder, le surveiller mais sûrement pas le sauver.
Pour un curé, un homme qui met fin à ses jours se soustrait
à la volonté de Dieu et par là-même commet
un péché. Idem pour un taulard qui se suicide, il se soustrait
à sa peine et commet donc un délit. Sil survit il
est envoyé directement au mitard qui bien évidemment est
le lieu de la taule où il y a le plus de morts. Cinquante pour
cent des suicides, où sont sur-représentés des prisonniers
qui sont passés au prétoire pour coups et blessures sur
matons, se passent au mitard.
Non seulement lAdministration pénitentiaire se déresponsabilise
des suicides en les pénalisant mais elle les utilise pour camoufler
les dérapages parfois meurtriers des matons pour qui surveiller
rime souvent avec dérouiller. Au mitard, les matons sont choisis
parmi les plus durs, et les plus passifs deviennent de fait complices
de ces meurtres.
Avant dêtre enfermés, beaucoup de ces hommes et femmes
navaient jamais pensé au suicide. Entre ces quatre murs cela
devient (ainsi que lautomutilation) un moyen ultime et désespéré
de se faire entendre, de refuser lenfermement, de mettre un terme
à lisolement.
Ce geste qui alimente souvent les statistiques nentraîne quune
indignation de bon ton, un billet dhumeur dans un journal de gauche
ou au mieux une plainte qui naboutit à rien si ce nest
à un mea culpa hypocrite.
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