A laube du jour de parloir,
du jour de revoir,
je regarde,
songeuse devant mon miroir,
le visage que tu prendras doucement dans tes mains.
Je le regarde avec anxiété.
Je voudrais quil ny ait plus les traces de labsence
douloureuse,
de la fatigue du quotidien à assumer seule,
de la peur du lendemain qui narrive jamais
Je regarde la ride et lefface dun doigt rageur.
Non ! Pas ça.
Pas la marque du temps non vécu. Pas déjà !
Me tournant vers la fenêtre,
je regarde le ciel qui séclaire:
le jour où je vais te voir se lève,
plus beau que le plus beau des jours.
Je regarde lheure qui nen finit pas dannoncer le court
bonheur à venir,
des retrouvailles à larrachement.
Je regarde lheure qui va devenir fatidique tout à lheure,
au moment de se dire adieu,
mais qui, pour le moment, est toute despoir et de joie anticipée.
Je regarde,
au bout de la rue,
la lourde porte :
on la repeinte récemment dun rouge bordeaux,
lourd lui aussi,
qui balafre bizarrement le gris des hauts murs.
Le judas, il torve, me guette sans pitié,
soupçonneux.
Je regarde les grilles,
les grosses clés, les visages fatigués de mes compagnes
de galère,
les joues rondes des enfants,
barbouillées du chocolat grignoté pendant lattente,
bouches gourmandes qui vont dire « papa ».
Je regarde les couloirs sinistres,
les grilles, les clés, les portes, les clés, les grilles,
les barreaux, les portes, les clés, les grilles
Me voilà arrivée, toujours silencieuse.
Je te regarde.
Intensément, éperdument, mettant au fond de mes yeux toute
mon âme,
guettant dans ce regard-seconde, dans ce regard-éternité,
toute labsence chargée de désir,
toute la présence chargée de tout lêtre,
dense, total, « à vivre de suite, sur place ».
Je regarderai, tout au long du temps compté du parloir,
tes yeux, tes lèvres, tes mains, qui tracent sur mon corps tendu
vers toi,
sur mon âme éclatée,
sur ma vie arrêtée là,
les regards-tendresse, les baisers-bonheur, les caresses-douceur.
Tout cet amour quil faut se donner à emporter pour faire
avec, le long du temps de la solitude.
Je regarde de tout mon être qui se déchire tes yeux qui sembuent,
tes lèvres que tes doigts effleurent pour un dernier baiser,
tes mains qui esquissent ladieu sans vouloir le finir.
Eperdument, je regarde ton sourire qui me dit « courage ! »,
qui me crie « je taime ! »,
qui murmure « patience
»,
qui seffacera trop vite avant de disparaître,
le dos tourné qui franchit la porte vers ton monde captif.
Je regarde,
les yeux baissés pour ne pas laisser passer les larmes,
le sol gris couleur dabsence sur le chemin du temps sans toi.
Je regarde,
blessée,
les arbres fleuris du printemps que tu ne vois pas derrière les
murs aveugles.
Je regarde les couples qui marchent enlacés,
lacérée de chagrin jusquau bout de mon désir
de toi.
Alors, vite, pour ne pas tomber dans le gouffre ouvert tout près
de mon bonheur fugace
Je regarde au loin
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