En
arrivant à Gênes quelques jours avant le G8, on découvre
une ville en état de siège. Cela fait des mois que le battage
médiatique entretient la psychose et que lEtat italien tente
dempêcher les gens de venir par une démonstration de
force qui se veut dissuasive. Où que lon soit, on a toujours
une escouade de flics dans son champ de vision. Tous les corps en sont
représentés : la police nationale (avec différents
corps délites et la DIGOS, léquivalent des RG
en France), les carabiniers (avec les ROS, lunité antiterroriste),
la garde des Finances, la police pénitentiaire, la police municipale,
les « Vigiles urbains », les « Citoyens de lordre
» et même les gardes forestiers...
Cest dans cette ambiance que les contestataires commencent à
se rassembler dans les lieux daccueil prévus. Les trois jours
précédant la manif du vendredi, plusieurs assemblées
sont tenues par les radicaux. Ces réunions ne sont pas faites pour
prendre des décisions formelles, on y discute des motivations,
des envies, des objectifs et des moyens que lon peut se donner.
Elles permettent aussi de se rencontrer, de se reconnaître, de se
compter, de se jauger ou de conspirer. Cest un peu le bordel car
il existe trois lieux de réunion qui regroupent chacun plus dune
centaine de personnes dont de nombreux délégués.
Beaucoup sont obligés de faire la navette ou doivent se répartir
entre les différentes assemblées, cest un peu compliqué
surtout quil sagit à chaque fois de traverser les dispositifs
policiers. Tout se discute en commun par groupes daffinités,
sans chef, sans élu, sans motion, sans commission. Des problématiques
se dégagent au cours des débats : dans quelle partie de
la ville se déplace ? Qui seront nos meilleurs alliés ?
Faut-il tenter de pénétrer dans la « zone interdite
» ou au contraire ne pas rentrer dans le piège tendu ; piège
autant militaire (attaquer là où lEtat la décidé)
que politique (le capitalisme est un échafaudage de rapports sociaux
et de dispositifs et non pas 8 chefs dEtat quil faudrait changer)
? Finalement, un groupe décide quil ira à louest
avec la Fédération anarchiste italienne, les CUB et les
RDB (scissions des COBAS qui est le principal syndicat de base ouvrier)
; et un autre groupe ira à lest, au point de rendez-vous
des COBAS et du Network (mise en réseau de différents groupes
autonomes, communistes et anarchistes italiens). Cest la seule décision
prise par ces assemblées car au vu de toutes les diversités
et du déploiement de force de lEtat, il était clair
que tout allait simproviser dans la rue.
Tout au long de ce texte nous nutiliserons que le terme d
« émeutiers » pour désigner les participants
aux affrontements. Quil soit clair que ces personnes ne représentent
en aucun cas une organisation, une armée, un groupe homogène
ayant une seule et même pensée. Elles viennent de partout
et de toutes les tendances (anarchistes, autonomes, anti-impérialistes,
squatteurs, syndicalistes révolutionnaires, etc.) et ont agrégé
de nombreux individus ou groupes (militants ou non). On ne peut en aucun
cas les réduire à ceux que les médias, les flics
et les organisations de gauche nomment le « Black Block »
en référence au divers groupes qui se sont manifestés
durant les émeutes de Seattle.
La première manif du jeudi 19 en faveur des sans-papiers a permis
de se rendre compte que, malgré lattirail dissuasif, beaucoup
de monde avait pu rejoindre Gênes et que le périmètre
autour de la zone rouge la zone jaune était bien
tenu par les forces de lordre. Le même jour, on apprenait
que des affrontements entre la police et des manifestants grecs avaient
eu lieu à la frontière.
Le vendredi vers midi, cest en cortège quenviron 600
personnes masquées se rendent au point de rendez-vous à
lest, ils y rejoignent plus de 2 000 autonomes et de nombreux autres
groupes. Tout commence très vite. Une banque puis une autre sont
partiellement ravagées. Quelques jets de pierres et de bouteilles
incendiaires sur les flics qui ripostent immédiatement par des
tirs de lacrymogènes et repoussent lentement le cortège.
Les premières charges divisent la manifestation certains
se dirigent vers le bord de mer où des barricades sont dressées,
des banques saccagées et une caserne de carabiniers attaquée
, tandis quenviron deux mille émeutiers se dirigent
vers le nord, suivis dassez loin par les cordons de flics. Il est
13 heures et quelques personnes semparent de voitures de location
et les déposent, après un sympatique rodéo, au milieu
dun carrefour. Là, elles sont cassées puis incendiées
avec lautoradio à plein volume. Un journaliste, un peu trop
concentré sur un zoom, voit son énorme Bétacam finir
au milieu du brasier. Ses collègues commencent à arriver
de partout et ont bien du mal à faire leur travail tant ils se
font caillasser dès quils sortent leur matériel. Le
groupe sétire en longueur et est renforcé par de nombreux
jeunes gênois et pas mal de manifestants à peine arrivé
à Gênes (il se trouve non loin de la gare). Il se dirige
vers le nord-ouest. Les représentations de lEtat, les banques,
les assurances, les agences immobilières et de voyage, les postes,
les concessionnaires sont systématiquement cassés et certains
tentent de mettre le feu à une église. Pour le reste cest
en fonction des besoins. Un tabac est fracturé et les paquets de
clopes et de cigares sont distribués à la ronde, nombreux
sont les riverains qui sortent des immeubles pour « toucher leur
part ». La foule sempare dun supermarché qui
est transformé en libre-service (il restera ouvert jusquà
18 h et des gens provenant de tous les cortèges, y compris de nombreux
pacifistes, viendront sy restaurer). Tout cela dans un esprit des
plus collectif : tout le monde partage. On peut voir alors des centaines
de personnes cagoulées en train de manger des glaces, de croquer
à pleines dents dans des meules de fromage, de boire du vin, du
champagne et des sodas. Les chantiers, les stations-service, un magasin
de motos sont mis à contribution pour récupérer du
matériel : projectiles divers, produits inflammables, casques,
barres de fer... (des ballons de foot et de rugby sont découverts
dans la station-service, alors des petits matchs simprovisent sur
la place).
Il est environ 15 heures lorsque le groupe se scinde en deux ; une partie
qui retourne vers la zone rouge tandis quenviron 1 500 autres partent
vers le nord. Ils passent à un jet de pierre de la prison mais
ne sen aperçoivent pas, se trouvant de lautre côté
dun immense parking, enserrée entre un stade et un banal
pâté de maison, la « Carcere Marassi » est assez
discrète. Le cortège est déjà en train descalader
un interminable escalier quand une vingtaine de personnes sorties du groupe
de queue traversent le parking et lancent une charge contre les trois
fourgons blindés et la jeep des carabiniers garés devant
la taule. Les carabiniers répondent par des tirs tendus de gaz
lacrymogènes tandis que les assaillants sont rejoints par une centaine
démeutiers (le cortège restant en protection). Lassaut
se fait plus décisif et les flics commencent à saffoler,
ils se replient rapidement et remontent dans les véhicules sous
une pluie de projectiles. Un fourgon en panique a bien du mal à
se défaire dune grappe dacharnés qui tentent
de défoncer ses vitres, avant de senfuir à la suite
de ses collègues. Les journaux annonçaient que la prison
avait été vidée au trois quarts avant le G8 afin
de pouvoir la remplir avec des manifestants interpellés et déviter
tout risque démeute de la part des prisonniers. Ceux qui
restaient avait été cantonnés à dix par cellule
au dernier étage. Cest donc sans aucune hésitation
que la décision de tenter de brûler la taule est prise. Lassaut
est donné au bâtiment administratif. Des bouteilles incendiaires
sont jetées contre la porte qui savère être
ignifugée, pendant que dautres pètent les vitres des
fenêtres du premier étage. Les matons que lon voyait
dans les miradors et sur les coursives commencent à flipper, ça
sagite à lintérieur. Une porte secondaire est
défoncée à coups de pied mais elle donne sur un mur
de briques : on reconnaît bien là lhumour de la pénitentiaire...
Une fenêtre du rez-de-chaussée cède sous les coups
malgré son blindage et les barreaux qui la protègent. Elle
donne sur le bureau de la direction et il y a des gardiens casqués
à lintérieur. Quelquun lance : « Sortez
tous ou on vous grille ! » Un cocktail Molotov est lancé
aussi sec à travers les barreaux, mais les matons léteignent
avec un extincteur et, protégés par un nuage de neige carbonique,
tentent de refermer la fenêtre. Sous la détermination des
assaillants elle cède à nouveau, re-lancers de bouteilles
incendiaires, re-extincteur, et là, cest la rupture des stocks
de munitions. Quelques-uns partent chercher une voiture pour la transformer
en bélier, mais le groupe qui était resté en retrait
reprend sa route et il nest pas pensable de rester isolés
à une centaine. Tout le monde quitte donc les lieux, un peu amer
dans lensemble, car ce nest pas tous les jours quune
telle occasion se présente... Pendant tout cet temps, la police
nest pas intervenue tout simplement parce quelle en était
incapable. Le gros du dispositif était assigné à
la défense de la zone rouge qui était en train de se faire
harceler au même moment par cinq ou six cortèges violents
et non-violents. La mobilité et la spontanéité des
émeutiers qui prennent soin de protéger leurs arrières
en érigeant systématiquement des barricades, rend la chasse
difficile et aurait mobilisé beaucoup dhommes. De plus, toute
la zone dévastée se trouvait derrière la voie ferrée
et si une poursuite sétait engagée, les forces de
lordre auraient dû dans un premier temps traverser des zones
tenues par des manifestants et ensuite se retrouver coupées de
leur base (quasiment encerclées).
Le groupe démeutiers a maintenant rejoint la zone jaune à
Piazza Manin, où est logée la délégation américaine.
Sy déroule une kermesse-meeting autorisée de pacifistes,
denvironnementalistes, de scouts, de divers groupes féministes,
avec concerts et stands dinformation. Il y a eu des scènes
de fraternisation entre les manifestants et la police. Pourtant, dès
que le groupe arrive, une charge se déclenche à coups de
jets de boulons et dun nombre hallucinant de lacrymogènes
extra-fortes qui noient la place sous un épais brouillard. Les
gens du rassemblement autorisé lèvent les mains en lair
face aux policiers qui les matraquent copieusement. Les « émeutiers
» (à ce moment il ne se passe rien) se sont rapidement dispersés
en plusieurs petits groupes et certains se remettent à ériger
des barricades. Chacun reflue par ses propres moyens vers le sud-est.
Presque tous (y compris ceux qui étaient parti sur le bord de mer)
se retrouve vers 16 heures 30 non loin de la gare le long de la voie ferrée,
dans le cortège le plus imposant qui rassemble quinze milles personnes.
Initialement emmené par les Tute Bianche, il est désormais
composé de toutes les tendances désirant en découdre
avec les forces de lordre. Celles-ci ont du mal à contenir
les manifestants qui évoluent sur trois fronts en même temps.
Sur le carrefour dégagé, un fourgon blindé des carabiniers
est en train de brûler avec une pancarte « chiuso »
(fermé) accrochée à lessuie-glace. Mais larrêt
des manifestations dans le reste de la ville (les pacifistes ont appelé
à la dispertion à la demande de la police, pour permettre
à cette dernière de réprimer efficacement les violents)
et larrivée des canons à eau qui foncent sur la foule
(cest un miracle si personne nest écrasé), permet
à la police de contenir la foule et de la maintenir sur un front
unique. La densité des affrontements ne faiblit pas pour autant
et cela va durer plus de deux heures. Les émeutiers se relayent
en permanence pour aller à laffrontement tant lair
est difficilement respirable à cause du tir nourri et continu de
lacrymos. Tout le monde a pris lhabitude de les relancer dès
quelles touchent le sol. A larrière on peut trouver
de leau et du citron pour calmer leffet des lacrymogènes,
il y a aussi des gens pour vous soigner au besoin. On défonce le
marbre des immeubles qui fait un excellent projectile. La foule a plutôt
tendance à reculer et érige des barricades avec les containers
à poubelles et quelques voitures. les flics ne les démantèlent
pas au fur et à mesure de leur avancée et cela va permettre
aux manifestants dopérer une belle avancée. En effet,
vers 17 heure 30 les deux camions à eau sen vont refaire
le plein et il sensuit un moment de battement dans les rangs des
forces de lordre dont la foule profite immédiatement. Des
gens, cachés derrière les containers sur roulettes avancent
sur les cordons de police, suivis de près par dautres qui
lancent des pierres à une cadence effrénée. Tout
le monde avance en hurlant et les flics reculent sous la pression qui
augmente. Puis cest la débandade : ils se retournent et détalent
à toutes jambes tandis que la foule se retrouve face à leurs
véhicules. Là, un des conducteurs sort son arme et tire
en lair depuis la cabine dun fourgon. Après un moment
de stupeur, la rage redouble. Des gens atteignent les véhicules
mais les canons à eaux sont de retour et le gazage reprend alors
quil avait cessé pendant la fuite. Au même moment,
un escadron de carabiniers lance une attaque à partir dune
rue transversale pour désenclaver leurs collègues. Ils se
cassent le nez sur une barricade et des tonnes de pierres leur arrivent
dessus de tous côtés. Ils ne tiennent pas longtemps «
la défense de la barricade » et ils déguerpissent
tandis que leur chef tente désespérément de les retenir.
Les émeutiers partent à leur poursuite et certains flics
nont dautre choix que dessayer damortir les coups
avec leurs boucliers.
Cest là que, dans la fuite, sur la Piazza Alimonda, deux
Land Rover se retrouvent au milieu des manifestants. Lune delles
parvient à senfuire avec quelques vitres cassées tandis
que lautre cale et se retrouve bloquée contre un plot en
béton. Elle est assaillie par une trentaine de personnes qui en
défoncent les vitres et la carosserie. Les deux carabiniers bloqués
à lintérieur essuient plusieurs jets de pierres. Lun
est devant, à la place du conducteur, et lautre est allongé
derrière. Il essaie de se protéger avec ses bras et ses
jambes. Il lance dabord un extincteur sur les assaillants, puis
il dégaine son 9 mm et pointe immédiatement la foule en
faisant des mouvements circulaires. Certains le voient et se reculent
tout en criant : « Attention il a sorti un flingue ! Il a sorti
un flingue ! Quest-ce que tu fais bâtard de flic ! »
Cest alors quun émeutier cagoulé ramasse lextincteur
et sapprête à le lancer sur la voiture. Dans le même
mouvement le carabinier le vise et labat de deux balles dans la
tête. La voiture fait aussitôt une marche arrière en
roulant sur le corps et senfuit. Des gens sapproche du cadavre
et tente de lemmener avec eux car les flics ont relancé la
charge en matraquant à tout va. Tout le monde crie : « Non
! Non ! Il la tué ! Il est mort ! Il est mort ! » Sous
les gaz, les carabiniers réoccupent la place et les manifestants
refluent dune centaine de mètres en criant vengeance. Quelquun
se met debout sur un container et demande à la foule que cet assassinat
soit vengé avant ce soir et appelle au meurtre de flics. Un cordon
de police charge par surprise en assommant un émeutier à
coups de matraque. Les autres, surénervés, courent à
son secours, parviennent à le récupérer et poursuivent
les flics qui reculent. Il sen est fallu de peu que la vengeance
soit consommée. Mais plusieurs autres cordons rappliquent et cest
au tour des émeutiers de fuir pour retrouver le gros du cortège
qui stagne en arrière.
La nouvelle de lassassinat circule rapidement et en vingt minutes
les affrontements cessent. Tout le monde se cherche, beaucoup sont abasourdis
et fatigués par plusieurs heures démeute, et puis
avec flingues contre cailloux, ce nest plus la même histoire...
Les forces de lordre en profitent et repoussent le cortège
qui rassemble toujours presque ving mille personnes. Sous la poussée
des canons à eau, un gazage intensif et à coups de matraque
la foule reflue vers lest sur plusieurs kilomètres le long
dun grand boulevard sans quune dispersion soit possible. Tous
ceux qui nauront pas pu suivre le mouvement seront matraqués
et arrêtés.
Le samedi aurait dû être une journée de vengeance,
au lieu de ça, toutes les organisations ayant participé
ou non aux affrontements se dissocient des violences. Aussi bien en paroles
lors de conférences de presse, quen actes en organisant des
services dordre autour des cortèges de la manifestation qui
rassemble plusieurs centaines de milliers de personnes. Ceci autant pour
empêcher les « infiltrations du Black Block » que pour
éviter de se faire déborder par leurs propres troupes. De
toute façon la tactique des flics a changé : les carabiniers
(responsables du mort) sont cantonnés dans la zone rouge et cest
la police de Gênes qui dirige les opérations. Si leur stratégie
de la veille était basée sur la défense, aujourdhui
ils attaquent. Il est clair quil a été décidé
par avance que la manifestation (de 300 000 personnes) devait être
dispersée. Les premiers heurts éclatent, des manifestants,
toutes tendances confondues marchent sur les barrages de flics qui reculent,
quelques banques sont la proie des flammes. Ensuite, cest un déchaînement
de violence inouï de la part des flics. Même les cortèges
où la majorité des manifestants lèvent les mains
en lair subissent lassaut des force de lordre qui gazent
et foncent sur eux avec des blindés et les canons à eau.
La foule du devant se retrouve coincée contre la masse compacte
des manifestants qui continue davancer. La manif a été
coupée en deux et dans le premier tronçon certains se déchaînent
en cassant et brûlant plusieurs banques et en faisant des barricades.
Les flics continuent de couper en deux tout ce qui ressemble à
un cortège : 300 000 personnes, pacifistes ou non, dispersées
et poursuivies à coups de grenade et de matraque. Quelques émeutiers
échappent à la police et se refugient, comme la veille,
de lautre côté du chemin de fer. Ils sont rejoints
par une foule mélangée de jeunes Génois et de badauds.
Quelques pillages, saccages et constructions de barricades sorganisent
mais la police coince plusieurs centaines de personnes dans une rue et
parvient à les interpeler. La foule désemparée reflue
et se disperse suivie de près par les canons à eau qui arrivent
du bord de mer où un véritable « massacre »
sest déroulé. Il y a des centaines de blessés
avec un va-et-vient continu dambulances aux sirènes hurlantes.
Sur 500 mètres le sol est jonché de chaussures, de bouteilles
deau vides, de vêtements arrachés, de lunettes, de
drapeaux... Un spectacle qui en dit long sur le déchaînement
de violence opéré par les force de lordre ce jour-là.
Mais quest-ce quon est allé faire à Gênes
?
Il est vrai que le bourrage de crâne laissait présager du
pire : une ville blindée par 20 000 flics et une kermesse de la
contestation bon teint emmenée par les organisations institutionnelles
anti-mondialistes. Beaucoup se disaient que rien ny serait possible
car tout serait tenu par le consensus anti-globalisant qui ne critique
dans la « mondialisation » que lhégémonie
américaine, se positionnant ainsi dans le nouveau combat bipolaire
: Europe versus USA. Comme lemployé-Bové-de-chez-Roquefort-Société
qui défend les intérets du fromage français face
à Mac Donalds. De toute façon, cela nous importe peu
que ceux qui nous exploitent et nous dominent soient européens
ou américains, nous luttons contre le rapport marchant qui fait
de nous des marchandises-producteurs que lon manipule au gré
des calculs de profits escomptés. Alors, venir à Gênes
pour servir les intérêts de « nos » gouvernements
et de « nos » capitalistes, certainement pas.
Devoir défiler avec les fameuses Tute Bianche, qui organisent des
actions spectaculaires chorégraphiées avec la police, et
qui simaginent quils pourront forcer les barrages uniquement
à laide de rembourrages et de boucliers en plexiglass. Troublant
!
Aller avec les « pacifistes », les mains peintes en blanc
(décidément, cette couleur) pour les lever dès quune
charge de police se présente. Choquant !
Assister au concert de Manu Chao après avoir payé lentrée
10 000 lires. Lentendre dénoncer ceux qui saffrontent
avec la police, lui qui gagne en une journée ce que peu gagnent
en un an. Répugnant !
Contempler les forces de lordre qui paradent en barrages, perquisitions
et intimidations en tout genre. Bien énervant...
Non, nous nallions pas répéter et faire durer ce que
nous avions connu lors des sommets précédents, où
tout est prévu et décidé davance tant au niveau
des actions que du discours. Où, dés que lon veut
contester en dehors du cadre institutionnel, on te range dans la délinquance.
La fois précédente, à Göteborg, les organisateurs
du contre-sommet avait déclaré quil était normal
que la police tire car elle avait été agressée par
de dangereux extrémistes. Une véritable chasse à
lhomme avait suivi et des manifestants avaient dû se cacher
pendant des jours avant de quitter le pays. Les personnes arrêtées
ont étés condamnés à des peines allant jusquà
quatre ans de prison (un émeutier blessé par balle a lui
été condamné à six mois fermes, pour rébellion
et violence à agent).
Une impression générale laissait penser que seul un affrontement
direct permettrait de briser ce cirque où des professionnels du
pouvoir et de la contestation ne cherchent quà organiser
ce monde.
Pour assumer laffrontement, Gênes nétait peut-être
pas lendroit idéal et certains avaient rêvé
daller ensemble le déclencher ailleurs, mais cela cest
avéré assez iréaliste. Lenjeu ne pouvait être
quici et maintenant et lémeute un des moyens pour abolir
cet état de fait. La rencontre de manifestants venus du monde entier
renforcait le caractère « doccasion à ne pas
manquer » de ces trois journées, en abolissant les clivages
nationaux et européens. Cest, entre autres, à partir
de ces différentes considérations débattues au cours
des assemblées relatées plus haut, que nous étions
nombreux à penser quil fallait sattaquer directement
aux représentations du pouvoir économique et politique.
Créer laffrontement en sen prenant physiquement aux
flics, aux banques, aux commerces, aux agences immobilières, aux
concessionnaires, à la prison
Et il ne sagit pas ici
de sattaquer aux symboles flous de loppression mais bien davoir
une prise directe sur les dispositifs réels dune oppression
quotidienne qui sont plus que visibles dans ces instants de rupture, surtout
lorsquune ville est quasiment vidée de ses habitants et laissée
aux mains des forces de police. Libérer des zones où normalement
seul lordre ambiant règne. Créer des fragments de
possible au milieu dun tout quadrillé, légiféré
et déjà pensé pour lindividu.
LEtat quant à lui, était bien décidé
à toujours pouvoir déterminer le degré de violence.
Même si laprès-midi du vendredi a connu de joyeux moments
démeutes, lors des affrontements directs avec la police,
le jeu nétait plus de mise : tirs tendus de roquettes lacrymogènes
en permanence, canons à eau et blindés fonçant
sur la foule, matraquages, et plusieurs fois lusage de balles réelles
Ceci a abouti logiquement à lassassinat de Carlo Giuliani.
Ce mort aussitot récupéré par les anti-violents institutionnels
qui sempresseront de déclarer que cest à cause
du « Black Block » que les forces de lordre ont été
aussi répressives. Les mêmes qui, à la demande du
ministère de lIntérieur et par la voix du porte-parole
du GSF (Agnoletto) appelleront en direct sur tous les médias à
la dissolution de tous les cortèges afin « disoler
les éléments violents et permettre à la police de
faire son travail », ATTAC acceptera de faire reculer son cortège
pour laisser passer la police et lui permettre dencercler un groupe
du « Black Block ». Etonnant paradoxe que ces non-violents
déclarés déléguant leur pouvoir aux flics
pour mieux réprimer les manifestants. Lidée que la
violence doit être le monopole légitime de lEtat et
que les individus qui tentent de se la réapproprier doivent être
matés et discrédités est bien ancrée. Dans
ce sens et pour éviter les désordres à Gênes,
Cohn-Bendit avait suggéré à la police disoler
les éléments violents afin de ne pas « contaminer
» les pacifistes. Heureusement, sur ce point, la police et les organisations
du contre-sommet nont pas réussi à faire leur travail.
Combien avons-nous vu de chefs de service dordre ne pouvant plus
tenir leurs hommes dans les rangs et combien avons-nous entendu de crétins
au mégaphone criant à leurs troupes de ne plus jeter de
cailloux mais plutôt de se replier... Et cest en bons citoyens
et par crainte que la répression ne sabatte maintenant sur
eux, que les anti-mondialistes italiens et français, à travers
le GSF, les Tute Bianche et ATTAC, sempresseront de se dissocier
des violences entraînant avec eux une foule de moutons schizophrènes
qui ont participé aux affrontements mais qui sen dissocieront
une fois rentrés chez eux. Conscients de leur échec, car
dépassés par lampleur de lémeute et débordés
par leur base, ces organisations nont aucune tactique cohérente
à proposer si ce nest de senliser toujours plus dans
la compromission. Ils ne peuvent, alors, que crier au complot et déclarer
que les émeutiers étaient infiltrés par la police
et des nazis. Eh oui, tout cela ne peut en aucun cas être luvre
spontanée dune partie des manifestants. Les plus obtus dentre
eux iront jusquà dire que le carabinier assassin était
une victime de la violence au même titre que le manifestant tué.
Comble de lidiotie. Nous sommes convaincus au contraire que penser
en termes de victime ne vise quà déposséder
chacun de ses actes. Nous savons en revanche quil y a des responsables
tels que linstitution policière et tous ceux qui collaborent
à son travail... Noublions pas que pendant les deux jours
qui suivront la gauche ne fera aucun reproche aux forces de police et
quelle naura de cesse dappeler au lynchage des émeutiers.
Persuadée que la violence du prétendu Black Block, sale,
spontanée et désordonnée face au geste froid et professionnel
du carabinier, va lui permettre docculter la répression implacable
menée par larsenal anti-émeute déployé
durant ces journées. Ce nest que lorsque les autres pays
européens crieront au scandale que la question de la responsabilité
des flics verra le jour. Ces pays ne lont pas fait par humanisme
ou par compassion, mais plutôt par calcul politique car il était
nécessaire de punir le gouvernement italien qui a appuyé
les américains durant le G8 en pleine guéguerre dintérêts
entre lEurope et les USA (notament sur les boucliers antimissiles).
Berlusconi se défendra en promettant louverture dune
enquête et en rappellant que la majorité des dirigeants des
différents corps de police sont proches du DS (ex-communistes).
Lorganisation et la sécurité du G8 avait été
planifiés par un gouvernement dunion de la gauche qui était
encore en place deux mois auparavant. Il est évident quà
lépoque les organisations antimondialistes devaient donner
la patte à la grande kermesse afin de sassurer de belles
retombées politiques et de vendre encore plus de fromages européens
pour aider les petits enfants des pays les plus pauvres. Là, avec
la droite libérale au pouvoir on a enfin vu ce quétait
une démocratie pleinement réalisée : les flics tapent
sur tout le monde, sans discrimination. Dans un premier temps, durant
les semaines précédentes et pendant le sommet, ils perquisitionnent
et interpellent dans des centres sociaux et des squats politiques, puis
chez des anarchistes. Dans un deuxième temps, durant la manif du
samedi, ils matraquent et ils gazent outrageusement les cortèges
pacifistes des partis et des grandes organisations qui ont certainement
eu tort de crier sur tous les toits que la police navait pas été
assez répressive. Mal leur en a pris, car le même jour, vers
minuit, des policiers font irruption dans les locaux du GSF au nom de
larticle 41. Cette loi datant des années de plomb a été
spécialement conçue contre les violences politiques. Elle
permet à la police dintervenir sans mandat à partir
du moment où elle soupçonne la présence darmes
dans un lieu. A lissue de cette perquisition, on verra plus de 50
interpellés être évacués sur des civières.
Il est intéressant de noter que cette opération menée
par la DIGOS a été effectuée par le GOM (Gruppo Operativo
Mobile), le groupe antiémeute de la police pénitentiaire.
Il dépend directement du ministère de la Justice et a été
créé en 1996 par un gouvernement de gauche. Il est sensé
intervenir contre les mouvements de révolte dans les prisons et
ne sétait pas encore fait connaître au niveau médiatique.
Lopinion a été dautant plus choquée quelle
navait jamais voulu prêter attention à de telles pratiques,
brutales, qui sont habituellement cachées par les hauts murs des
prisons.
Pour ce qui est de la répression, nous ne pouvons faire quun
bilan approximatif, tant la désinformation et le secret ont été
utilisés par lEtat sous couvert denquêtes, de
contre-enquêtes et de commissions parlementaires, sans parler des
médias sur lesquels il ne faut définitivement plus se faire
aucune illusion. Pour tout dire, personne ne peut être certain,
aujourdhui, du nombre exact de morts pendant ces trois jours. Une
jeune espagnole heurtée par un véhicule de police puis matraquée
serait toujours dans le coma. Toujours est-il quil y a eu près
de 1 500 blessés dont des cas extrêmement graves comme des
comas de plusieurs jours, des opérations au cerveau, des implants
de moelle épiniaire, des décollements de la rétine...
Au niveau judiciaire, il reste 19 personnes incarcérées
; il y a 329 mis en examen dont 302 sur les 500 interpellés durant
le G8. Une enquête a été ouverte afin de permettre
lidentification et linterpellation de 307 personnes dites
« membres du Black Block » dont la police possède des
photographies. Les dégâts matériels représentent
une somme un peu plus importante que celle dépensée pour
la mise en place du système de sécurité du G8. Au
niveau politique, Agnoletto le porte-parole du GSF continue de marteler
que « le Black Block est un adversaire imprévisible et dangereux
» et que les forces de lordre nont pas tenu les promesses
et les accords quelles avaient passé avec les organisations
antimondialistes. Casarini, le chef des Tute Bianche, déclare maintenant
que « le vrai problème nest pas le Black Block mais
les carabiniers ». Il est évident quil ne peut plus
tenir le même discours de diabolisation des « violents »
quil avait tenu les premiers jours, vu comment il sest fait
déborder par ses troupes et les remous que cela avait provoqué
dans leurs rangs. Les bureaucraties antimondialistes institutionnelles
ont bien du mal à articuler un discours cohérent par rapport
à la violence, mais se trouvent contraintes et forcées de
faire avec. LEtat italien tente de se redonner une crédibilité
en déplaçant tout sur le plan juridique, en laissant à
la magistrature le soin de remettre en ordre tous les dérapages
: une enquête a été ouverte contre 16 policiers qui
sont intervenus à lécole Diaz... une plainte a été
déposée par le parquet de Gênes contre certains journaux
pour divulguation de fausses informations et atteinte à limage
de la police
Tout cela donne limpression que tout le monde
a un peu fait des conneries et que la justice va officier et absoudre
lensemble. Mais il est clair que létat a rompu le pacte
démocratique, de plus en plus de gens ont perdu leurs illusions
et rien ne sera plus comme avant.
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