SOMMAIRE
ENVOLÉE n°2
-septembre 2001-

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PHILIPPE CAPERA EST MORT !
Du collectif des détenus des maisons centrales de Lannemezan et d’Arles ; juillet 2001.

ÉDITO

Maison d’arrêt de grasse, 28/07/01 : Mort avant son suicide ?

VOYAGE À VALLORIS.


LE RÉCIT DES FAMILLES
Récit de la mort suspecte de Ralph Hamouda et du mouvement de protestation des détenus ;

COMMUNIQUÉ DE PRESSE
Du Collectif de Défense des Familles et des Proches de personnes Incarcérées.

LETTRE OUVERTE.
adressée aux directeurs des maisons d’arrêt de Grasse et des Baumettes, au maire de grasse et au ministère de la justice.

Etat de grasse

DEPUIS CLAIRVEAUX…
A Madame martine Viallet, directrice de L’administration pénitentiaire.

Á MADAME JACOB, JUGE D'APPLICATION DES PEINE…
Courrier de ROUABAH Asseine du CP de Clairveaux…

DEPUIS LUYNES…
D'Yves Perrat

QUI VEUT LA PEAU D'ABDELHAMID HAKKAR ?
Ou l’autopsie (judiciaire et étatique) d’un être vivant.

Lettre ouverte de M. Hakkar à M. Canivet, président de la chambre criminelle de la cour de cassation.

DES FRAGMENTS DE POSSIBLE…
Gênes, Juillet 2001…récit des manifestations en opposition au sommet du G8.

Mutilation Ordinaire…
Communiqué des prisonniers de la centrale d’Arles, août 2001.

Regard de femmes, poème de Duszka.

DE LA PEINE DE MORT AUX PEINES JUSQU'À LA MORT.
Octobre 2001

Debout. Poème de David.

La liberté sans condition. De Lobo.

Les peines auto-gérées ? De Jean-Pierre.

Suicide
La prison est un lieu mortifère où le suicide est tres présent : Douze fois plus qu’à l’extérieur pour l’année 2000.

J’ai choisis de me battre… De Sonia.

Les assassines négligences. Des détenus de la centrale de Poissy.

Mort suspecte
« le suicide ne peut pas être le fait d’une espérance, il est le résultat des pressions subies au quotidien sans possibilité de se défendre…

OBJET: Convocation d’un détenu.
Par le Tribunal de Grande Instance deVersailles.

Le suicide à l’ombre. D'Audrey, Fresnes, Mai 2001.

Les Mots : des munitions.
Des nouvelles de Fresnes…

JURISPRUDENCE : pour faire le joint sur les grâces présidentielles…

C’est arrivé près de chez vous...Un cas mortel de probabilité

ABC Dijon

Contact du collectif prison de Clermont-Ferrand

Petites annonces.

Extraits de lettres .

Grèves de la faim contre l’isolement en Turquie

Texte du collectif anti-explulsion.

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Des fragments de possible...

En arrivant à Gênes quelques jours avant le G8, on découvre une ville en état de siège. Cela fait des mois que le battage médiatique entretient la psychose et que l’Etat italien tente d’empêcher les gens de venir par une démonstration de force qui se veut dissuasive. Où que l’on soit, on a toujours une escouade de flics dans son champ de vision. Tous les corps en sont représentés : la police nationale (avec différents corps d’élites et la DIGOS, l’équivalent des RG en France), les carabiniers (avec les ROS, l’unité antiterroriste), la garde des Finances, la police pénitentiaire, la police municipale, les « Vigiles urbains », les « Citoyens de l’ordre » et même les gardes forestiers...
C’est dans cette ambiance que les contestataires commencent à se rassembler dans les lieux d’accueil prévus. Les trois jours précédant la manif du vendredi, plusieurs assemblées sont tenues par les radicaux. Ces réunions ne sont pas faites pour prendre des décisions formelles, on y discute des motivations, des envies, des objectifs et des moyens que l’on peut se donner. Elles permettent aussi de se rencontrer, de se reconnaître, de se compter, de se jauger ou de conspirer. C’est un peu le bordel car il existe trois lieux de réunion qui regroupent chacun plus d’une centaine de personnes – dont de nombreux délégués. Beaucoup sont obligés de faire la navette ou doivent se répartir entre les différentes assemblées, c’est un peu compliqué surtout qu’il s’agit à chaque fois de traverser les dispositifs policiers. Tout se discute en commun par groupes d’affinités, sans chef, sans élu, sans motion, sans commission. Des problématiques se dégagent au cours des débats : dans quelle partie de la ville se déplace ? Qui seront nos meilleurs alliés ? Faut-il tenter de pénétrer dans la « zone interdite » ou au contraire ne pas rentrer dans le piège tendu ; piège autant militaire (attaquer là où l’Etat l’a décidé) que politique (le capitalisme est un échafaudage de rapports sociaux et de dispositifs et non pas 8 chefs d’Etat qu’il faudrait changer) ? Finalement, un groupe décide qu’il ira à l’ouest avec la Fédération anarchiste italienne, les CUB et les RDB (scissions des COBAS qui est le principal syndicat de base ouvrier) ; et un autre groupe ira à l’est, au point de rendez-vous des COBAS et du Network (mise en réseau de différents groupes autonomes, communistes et anarchistes italiens). C’est la seule décision prise par ces assemblées car au vu de toutes les diversités et du déploiement de force de l’Etat, il était clair que tout allait s’improviser dans la rue.
Tout au long de ce texte nous n’utiliserons que le terme d’ « émeutiers » pour désigner les participants aux affrontements. Qu’il soit clair que ces personnes ne représentent en aucun cas une organisation, une armée, un groupe homogène ayant une seule et même pensée. Elles viennent de partout et de toutes les tendances (anarchistes, autonomes, anti-impérialistes, squatteurs, syndicalistes révolutionnaires, etc.) et ont agrégé de nombreux individus ou groupes (militants ou non). On ne peut en aucun cas les réduire à ceux que les médias, les flics et les organisations de gauche nomment le « Black Block » en référence au divers groupes qui se sont manifestés durant les émeutes de Seattle.
La première manif du jeudi 19 en faveur des sans-papiers a permis de se rendre compte que, malgré l’attirail dissuasif, beaucoup de monde avait pu rejoindre Gênes et que le périmètre autour de la zone rouge – la zone jaune – était bien tenu par les forces de l’ordre. Le même jour, on apprenait que des affrontements entre la police et des manifestants grecs avaient eu lieu à la frontière.
Le vendredi vers midi, c’est en cortège qu’environ 600 personnes masquées se rendent au point de rendez-vous à l’est, ils y rejoignent plus de 2 000 autonomes et de nombreux autres groupes. Tout commence très vite. Une banque puis une autre sont partiellement ravagées. Quelques jets de pierres et de bouteilles incendiaires sur les flics qui ripostent immédiatement par des tirs de lacrymogènes et repoussent lentement le cortège. Les premières charges divisent la manifestation – certains se dirigent vers le bord de mer où des barricades sont dressées, des banques saccagées et une caserne de carabiniers attaquée –, tandis qu’environ deux mille émeutiers se dirigent vers le nord, suivis d’assez loin par les cordons de flics. Il est 13 heures et quelques personnes s’emparent de voitures de location et les déposent, après un sympatique rodéo, au milieu d’un carrefour. Là, elles sont cassées puis incendiées avec l’autoradio à plein volume. Un journaliste, un peu trop concentré sur un zoom, voit son énorme Bétacam finir au milieu du brasier. Ses collègues commencent à arriver de partout et ont bien du mal à faire leur travail tant ils se font caillasser dès qu’ils sortent leur matériel. Le groupe s’étire en longueur et est renforcé par de nombreux jeunes gênois et pas mal de manifestants à peine arrivé à Gênes (il se trouve non loin de la gare). Il se dirige vers le nord-ouest. Les représentations de l’Etat, les banques, les assurances, les agences immobilières et de voyage, les postes, les concessionnaires sont systématiquement cassés et certains tentent de mettre le feu à une église. Pour le reste c’est en fonction des besoins. Un tabac est fracturé et les paquets de clopes et de cigares sont distribués à la ronde, nombreux sont les riverains qui sortent des immeubles pour « toucher leur part ». La foule s’empare d’un supermarché qui est transformé en libre-service (il restera ouvert jusqu’à 18 h et des gens provenant de tous les cortèges, y compris de nombreux pacifistes, viendront s’y restaurer). Tout cela dans un esprit des plus collectif : tout le monde partage. On peut voir alors des centaines de personnes cagoulées en train de manger des glaces, de croquer à pleines dents dans des meules de fromage, de boire du vin, du champagne et des sodas. Les chantiers, les stations-service, un magasin de motos sont mis à contribution pour récupérer du matériel : projectiles divers, produits inflammables, casques, barres de fer... (des ballons de foot et de rugby sont découverts dans la station-service, alors des petits matchs s’improvisent sur la place).
Il est environ 15 heures lorsque le groupe se scinde en deux ; une partie qui retourne vers la zone rouge tandis qu’environ 1 500 autres partent vers le nord. Ils passent à un jet de pierre de la prison mais ne s’en aperçoivent pas, se trouvant de l’autre côté d’un immense parking, enserrée entre un stade et un banal pâté de maison, la « Carcere Marassi » est assez discrète. Le cortège est déjà en train d’escalader un interminable escalier quand une vingtaine de personnes sorties du groupe de queue traversent le parking et lancent une charge contre les trois fourgons blindés et la jeep des carabiniers garés devant la taule. Les carabiniers répondent par des tirs tendus de gaz lacrymogènes tandis que les assaillants sont rejoints par une centaine d’émeutiers (le cortège restant en protection). L’assaut se fait plus décisif et les flics commencent à s’affoler, ils se replient rapidement et remontent dans les véhicules sous une pluie de projectiles. Un fourgon en panique a bien du mal à se défaire d’une grappe d’acharnés qui tentent de défoncer ses vitres, avant de s’enfuir à la suite de ses collègues. Les journaux annonçaient que la prison avait été vidée au trois quarts avant le G8 afin de pouvoir la remplir avec des manifestants interpellés et d’éviter tout risque d’émeute de la part des prisonniers. Ceux qui restaient avait été cantonnés à dix par cellule au dernier étage. C’est donc sans aucune hésitation que la décision de tenter de brûler la taule est prise. L’assaut est donné au bâtiment administratif. Des bouteilles incendiaires sont jetées contre la porte qui s’avère être ignifugée, pendant que d’autres pètent les vitres des fenêtres du premier étage. Les matons que l’on voyait dans les miradors et sur les coursives commencent à flipper, ça s’agite à l’intérieur. Une porte secondaire est défoncée à coups de pied mais elle donne sur un mur de briques : on reconnaît bien là l’humour de la pénitentiaire... Une fenêtre du rez-de-chaussée cède sous les coups malgré son blindage et les barreaux qui la protègent. Elle donne sur le bureau de la direction et il y a des gardiens casqués à l’intérieur. Quelqu’un lance : « Sortez tous ou on vous grille ! » Un cocktail Molotov est lancé aussi sec à travers les barreaux, mais les matons l’éteignent avec un extincteur et, protégés par un nuage de neige carbonique, tentent de refermer la fenêtre. Sous la détermination des assaillants elle cède à nouveau, re-lancers de bouteilles incendiaires, re-extincteur, et là, c’est la rupture des stocks de munitions. Quelques-uns partent chercher une voiture pour la transformer en bélier, mais le groupe qui était resté en retrait reprend sa route et il n’est pas pensable de rester isolés à une centaine. Tout le monde quitte donc les lieux, un peu amer dans l’ensemble, car ce n’est pas tous les jours qu’une telle occasion se présente... Pendant tout cet temps, la police n’est pas intervenue tout simplement parce qu’elle en était incapable. Le gros du dispositif était assigné à la défense de la zone rouge qui était en train de se faire harceler au même moment par cinq ou six cortèges violents et non-violents. La mobilité et la spontanéité des émeutiers qui prennent soin de protéger leurs arrières en érigeant systématiquement des barricades, rend la chasse difficile et aurait mobilisé beaucoup d’hommes. De plus, toute la zone dévastée se trouvait derrière la voie ferrée et si une poursuite s’était engagée, les forces de l’ordre auraient dû dans un premier temps traverser des zones tenues par des manifestants et ensuite se retrouver coupées de leur base (quasiment encerclées).
Le groupe d’émeutiers a maintenant rejoint la zone jaune à Piazza Manin, où est logée la délégation américaine. S’y déroule une kermesse-meeting autorisée de pacifistes, d’environnementalistes, de scouts, de divers groupes féministes, avec concerts et stands d’information. Il y a eu des scènes de fraternisation entre les manifestants et la police. Pourtant, dès que le groupe arrive, une charge se déclenche à coups de jets de boulons et d’un nombre hallucinant de lacrymogènes extra-fortes qui noient la place sous un épais brouillard. Les gens du rassemblement autorisé lèvent les mains en l’air face aux policiers qui les matraquent copieusement. Les « émeutiers » (à ce moment il ne se passe rien) se sont rapidement dispersés en plusieurs petits groupes et certains se remettent à ériger des barricades. Chacun reflue par ses propres moyens vers le sud-est.
Presque tous (y compris ceux qui étaient parti sur le bord de mer) se retrouve vers 16 heures 30 non loin de la gare le long de la voie ferrée, dans le cortège le plus imposant qui rassemble quinze milles personnes. Initialement emmené par les Tute Bianche, il est désormais composé de toutes les tendances désirant en découdre avec les forces de l’ordre. Celles-ci ont du mal à contenir les manifestants qui évoluent sur trois fronts en même temps. Sur le carrefour dégagé, un fourgon blindé des carabiniers est en train de brûler avec une pancarte « chiuso » (fermé) accrochée à l’essuie-glace. Mais l’arrêt des manifestations dans le reste de la ville (les pacifistes ont appelé à la dispertion à la demande de la police, pour permettre à cette dernière de réprimer efficacement les violents) et l’arrivée des canons à eau qui foncent sur la foule (c’est un miracle si personne n’est écrasé), permet à la police de contenir la foule et de la maintenir sur un front unique. La densité des affrontements ne faiblit pas pour autant et cela va durer plus de deux heures. Les émeutiers se relayent en permanence pour aller à l’affrontement tant l’air est difficilement respirable à cause du tir nourri et continu de lacrymos. Tout le monde a pris l’habitude de les relancer dès qu’elles touchent le sol. A l’arrière on peut trouver de l’eau et du citron pour calmer l’effet des lacrymogènes, il y a aussi des gens pour vous soigner au besoin. On défonce le marbre des immeubles qui fait un excellent projectile. La foule a plutôt tendance à reculer et érige des barricades avec les containers à poubelles et quelques voitures. les flics ne les démantèlent pas au fur et à mesure de leur avancée et cela va permettre aux manifestants d’opérer une belle avancée. En effet, vers 17 heure 30 les deux camions à eau s’en vont refaire le plein et il s’ensuit un moment de battement dans les rangs des forces de l’ordre dont la foule profite immédiatement. Des gens, cachés derrière les containers sur roulettes avancent sur les cordons de police, suivis de près par d’autres qui lancent des pierres à une cadence effrénée. Tout le monde avance en hurlant et les flics reculent sous la pression qui augmente. Puis c’est la débandade : ils se retournent et détalent à toutes jambes tandis que la foule se retrouve face à leurs véhicules. Là, un des conducteurs sort son arme et tire en l’air depuis la cabine d’un fourgon. Après un moment de stupeur, la rage redouble. Des gens atteignent les véhicules mais les canons à eaux sont de retour et le gazage reprend alors qu’il avait cessé pendant la fuite. Au même moment, un escadron de carabiniers lance une attaque à partir d’une rue transversale pour désenclaver leurs collègues. Ils se cassent le nez sur une barricade et des tonnes de pierres leur arrivent dessus de tous côtés. Ils ne tiennent pas longtemps « la défense de la barricade » et ils déguerpissent tandis que leur chef tente désespérément de les retenir. Les émeutiers partent à leur poursuite et certains flics n’ont d’autre choix que d’essayer d’amortir les coups avec leurs boucliers.
C’est là que, dans la fuite, sur la Piazza Alimonda, deux Land Rover se retrouvent au milieu des manifestants. L’une d’elles parvient à s’enfuire avec quelques vitres cassées tandis que l’autre cale et se retrouve bloquée contre un plot en béton. Elle est assaillie par une trentaine de personnes qui en défoncent les vitres et la carosserie. Les deux carabiniers bloqués à l’intérieur essuient plusieurs jets de pierres. L’un est devant, à la place du conducteur, et l’autre est allongé derrière. Il essaie de se protéger avec ses bras et ses jambes. Il lance d’abord un extincteur sur les assaillants, puis il dégaine son 9 mm et pointe immédiatement la foule en faisant des mouvements circulaires. Certains le voient et se reculent tout en criant : « Attention il a sorti un flingue ! Il a sorti un flingue ! Qu’est-ce que tu fais bâtard de flic ! »
C’est alors qu’un émeutier cagoulé ramasse l’extincteur et s’apprête à le lancer sur la voiture. Dans le même mouvement le carabinier le vise et l’abat de deux balles dans la tête. La voiture fait aussitôt une marche arrière en roulant sur le corps et s’enfuit. Des gens s’approche du cadavre et tente de l’emmener avec eux car les flics ont relancé la charge en matraquant à tout va. Tout le monde crie : « Non ! Non ! Il l’a tué ! Il est mort ! Il est mort ! » Sous les gaz, les carabiniers réoccupent la place et les manifestants refluent d’une centaine de mètres en criant vengeance. Quelqu’un se met debout sur un container et demande à la foule que cet assassinat soit vengé avant ce soir et appelle au meurtre de flics. Un cordon de police charge par surprise en assommant un émeutier à coups de matraque. Les autres, surénervés, courent à son secours, parviennent à le récupérer et poursuivent les flics qui reculent. Il s’en est fallu de peu que la vengeance soit consommée. Mais plusieurs autres cordons rappliquent et c’est au tour des émeutiers de fuir pour retrouver le gros du cortège qui stagne en arrière.
La nouvelle de l’assassinat circule rapidement et en vingt minutes les affrontements cessent. Tout le monde se cherche, beaucoup sont abasourdis et fatigués par plusieurs heures d’émeute, et puis avec flingues contre cailloux, ce n’est plus la même histoire... Les forces de l’ordre en profitent et repoussent le cortège qui rassemble toujours presque ving mille personnes. Sous la poussée des canons à eau, un gazage intensif et à coups de matraque la foule reflue vers l’est sur plusieurs kilomètres le long d’un grand boulevard sans qu’une dispersion soit possible. Tous ceux qui n’auront pas pu suivre le mouvement seront matraqués et arrêtés.

Le samedi aurait dû être une journée de vengeance, au lieu de ça, toutes les organisations ayant participé ou non aux affrontements se dissocient des violences. Aussi bien en paroles lors de conférences de presse, qu’en actes en organisant des services d’ordre autour des cortèges de la manifestation qui rassemble plusieurs centaines de milliers de personnes. Ceci autant pour empêcher les « infiltrations du Black Block » que pour éviter de se faire déborder par leurs propres troupes. De toute façon la tactique des flics a changé : les carabiniers (responsables du mort) sont cantonnés dans la zone rouge et c’est la police de Gênes qui dirige les opérations. Si leur stratégie de la veille était basée sur la défense, aujourd’hui ils attaquent. Il est clair qu’il a été décidé par avance que la manifestation (de 300 000 personnes) devait être dispersée. Les premiers heurts éclatent, des manifestants, toutes tendances confondues marchent sur les barrages de flics qui reculent, quelques banques sont la proie des flammes. Ensuite, c’est un déchaînement de violence inouï de la part des flics. Même les cortèges où la majorité des manifestants lèvent les mains en l’air subissent l’assaut des force de l’ordre qui gazent et foncent sur eux avec des blindés et les canons à eau. La foule du devant se retrouve coincée contre la masse compacte des manifestants qui continue d’avancer. La manif a été coupée en deux et dans le premier tronçon certains se déchaînent en cassant et brûlant plusieurs banques et en faisant des barricades. Les flics continuent de couper en deux tout ce qui ressemble à un cortège : 300 000 personnes, pacifistes ou non, dispersées et poursuivies à coups de grenade et de matraque. Quelques émeutiers échappent à la police et se refugient, comme la veille, de l’autre côté du chemin de fer. Ils sont rejoints par une foule mélangée de jeunes Génois et de badauds. Quelques pillages, saccages et constructions de barricades s’organisent mais la police coince plusieurs centaines de personnes dans une rue et parvient à les interpeler. La foule désemparée reflue et se disperse suivie de près par les canons à eau qui arrivent du bord de mer où un véritable « massacre » s’est déroulé. Il y a des centaines de blessés avec un va-et-vient continu d’ambulances aux sirènes hurlantes. Sur 500 mètres le sol est jonché de chaussures, de bouteilles d’eau vides, de vêtements arrachés, de lunettes, de drapeaux... Un spectacle qui en dit long sur le déchaînement de violence opéré par les force de l’ordre ce jour-là.


Mais qu’est-ce qu’on est allé faire à Gênes ?
Il est vrai que le bourrage de crâne laissait présager du pire : une ville blindée par 20 000 flics et une kermesse de la contestation bon teint emmenée par les organisations institutionnelles anti-mondialistes. Beaucoup se disaient que rien n’y serait possible car tout serait tenu par le consensus anti-globalisant qui ne critique dans la « mondialisation » que l’hégémonie américaine, se positionnant ainsi dans le nouveau combat bipolaire : Europe versus USA. Comme l’employé-Bové-de-chez-Roquefort-Société qui défend les intérets du fromage français face à Mac Donald’s. De toute façon, cela nous importe peu que ceux qui nous exploitent et nous dominent soient européens ou américains, nous luttons contre le rapport marchant qui fait de nous des marchandises-producteurs que l’on manipule au gré des calculs de profits escomptés. Alors, venir à Gênes pour servir les intérêts de « nos » gouvernements et de « nos » capitalistes, certainement pas.
Devoir défiler avec les fameuses Tute Bianche, qui organisent des actions spectaculaires chorégraphiées avec la police, et qui s’imaginent qu’ils pourront forcer les barrages uniquement à l’aide de rembourrages et de boucliers en plexiglass. Troublant !
Aller avec les « pacifistes », les mains peintes en blanc (décidément, cette couleur) pour les lever dès qu’une charge de police se présente. Choquant !
Assister au concert de Manu Chao après avoir payé l’entrée 10 000 lires. L’entendre dénoncer ceux qui s’affrontent avec la police, lui qui gagne en une journée ce que peu gagnent en un an. Répugnant !
Contempler les forces de l’ordre qui paradent en barrages, perquisitions et intimidations en tout genre. Bien énervant...
Non, nous n’allions pas répéter et faire durer ce que nous avions connu lors des sommets précédents, où tout est prévu et décidé d’avance tant au niveau des actions que du discours. Où, dés que l’on veut contester en dehors du cadre institutionnel, on te range dans la délinquance. La fois précédente, à Göteborg, les organisateurs du contre-sommet avait déclaré qu’il était normal que la police tire car elle avait été agressée par de dangereux extrémistes. Une véritable chasse à l’homme avait suivi et des manifestants avaient dû se cacher pendant des jours avant de quitter le pays. Les personnes arrêtées ont étés condamnés à des peines allant jusqu’à quatre ans de prison (un émeutier blessé par balle a lui été condamné à six mois fermes, pour rébellion et violence à agent).

Une impression générale laissait penser que seul un affrontement direct permettrait de briser ce cirque où des professionnels du pouvoir et de la contestation ne cherchent qu’à organiser ce monde.
Pour assumer l’affrontement, Gênes n’était peut-être pas l’endroit idéal et certains avaient rêvé d’aller ensemble le déclencher ailleurs, mais cela c’est avéré assez iréaliste. L’enjeu ne pouvait être qu’ici et maintenant et l’émeute un des moyens pour abolir cet état de fait. La rencontre de manifestants venus du monde entier renforcait le caractère « d’occasion à ne pas manquer » de ces trois journées, en abolissant les clivages nationaux et européens. C’est, entre autres, à partir de ces différentes considérations débattues au cours des assemblées relatées plus haut, que nous étions nombreux à penser qu’il fallait s’attaquer directement aux représentations du pouvoir économique et politique. Créer l’affrontement en s’en prenant physiquement aux flics, aux banques, aux commerces, aux agences immobilières, aux concessionnaires, à la prison… Et il ne s’agit pas ici de s’attaquer aux symboles flous de l’oppression mais bien d’avoir une prise directe sur les dispositifs réels d’une oppression quotidienne qui sont plus que visibles dans ces instants de rupture, surtout lorsqu’une ville est quasiment vidée de ses habitants et laissée aux mains des forces de police. Libérer des zones où normalement seul l’ordre ambiant règne. Créer des fragments de possible au milieu d’un tout quadrillé, légiféré et déjà pensé pour l’individu.

L’Etat quant à lui, était bien décidé à toujours pouvoir déterminer le degré de violence. Même si l’après-midi du vendredi a connu de joyeux moments d’émeutes, lors des affrontements directs avec la police, le jeu n’était plus de mise : tirs tendus de roquettes lacrymogènes – en permanence, canons à eau et blindés fonçant sur la foule, matraquages, et plusieurs fois l’usage de balles réelles… Ceci a abouti logiquement à l’assassinat de Carlo Giuliani. Ce mort aussitot récupéré par les anti-violents institutionnels qui s’empresseront de déclarer que c’est à cause du « Black Block » que les forces de l’ordre ont été aussi répressives. Les mêmes qui, à la demande du ministère de l’Intérieur et par la voix du porte-parole du GSF (Agnoletto) appelleront en direct sur tous les médias à la dissolution de tous les cortèges afin « d’isoler les éléments violents et permettre à la police de faire son travail », ATTAC acceptera de faire reculer son cortège pour laisser passer la police et lui permettre d’encercler un groupe du « Black Block ». Etonnant paradoxe que ces non-violents déclarés déléguant leur pouvoir aux flics pour mieux réprimer les manifestants. L’idée que la violence doit être le monopole légitime de l’Etat et que les individus qui tentent de se la réapproprier doivent être matés et discrédités est bien ancrée. Dans ce sens et pour éviter les désordres à Gênes, Cohn-Bendit avait suggéré à la police d’isoler les éléments violents afin de ne pas « contaminer » les pacifistes. Heureusement, sur ce point, la police et les organisations du contre-sommet n’ont pas réussi à faire leur travail. Combien avons-nous vu de chefs de service d’ordre ne pouvant plus tenir leurs hommes dans les rangs et combien avons-nous entendu de crétins au mégaphone criant à leurs troupes de ne plus jeter de cailloux mais plutôt de se replier... Et c’est en bons citoyens et par crainte que la répression ne s’abatte maintenant sur eux, que les anti-mondialistes italiens et français, à travers le GSF, les Tute Bianche et ATTAC, s’empresseront de se dissocier des violences entraînant avec eux une foule de moutons schizophrènes qui ont participé aux affrontements mais qui s’en dissocieront une fois rentrés chez eux. Conscients de leur échec, car dépassés par l’ampleur de l’émeute et débordés par leur base, ces organisations n’ont aucune tactique cohérente à proposer si ce n’est de s’enliser toujours plus dans la compromission. Ils ne peuvent, alors, que crier au complot et déclarer que les émeutiers étaient infiltrés par la police et des nazis. Eh oui, tout cela ne peut en aucun cas être l’œuvre spontanée d’une partie des manifestants. Les plus obtus d’entre eux iront jusqu’à dire que le carabinier assassin était une victime de la violence au même titre que le manifestant tué. Comble de l’idiotie. Nous sommes convaincus au contraire que penser en termes de victime ne vise qu’à déposséder chacun de ses actes. Nous savons en revanche qu’il y a des responsables tels que l’institution policière et tous ceux qui collaborent à son travail... N’oublions pas que pendant les deux jours qui suivront la gauche ne fera aucun reproche aux forces de police et qu’elle n’aura de cesse d’appeler au lynchage des émeutiers. Persuadée que la violence du prétendu Black Block, sale, spontanée et désordonnée face au geste froid et professionnel du carabinier, va lui permettre d’occulter la répression implacable menée par l’arsenal anti-émeute déployé durant ces journées. Ce n’est que lorsque les autres pays européens crieront au scandale que la question de la responsabilité des flics verra le jour. Ces pays ne l’ont pas fait par humanisme ou par compassion, mais plutôt par calcul politique car il était nécessaire de punir le gouvernement italien qui a appuyé les américains durant le G8 en pleine guéguerre d’intérêts entre l’Europe et les USA (notament sur les boucliers antimissiles). Berlusconi se défendra en promettant l’ouverture d’une enquête et en rappellant que la majorité des dirigeants des différents corps de police sont proches du DS (ex-communistes). L’organisation et la sécurité du G8 avait été planifiés par un gouvernement d’union de la gauche qui était encore en place deux mois auparavant. Il est évident qu’à l’époque les organisations antimondialistes devaient donner la patte à la grande kermesse afin de s’assurer de belles retombées politiques et de vendre encore plus de fromages européens pour aider les petits enfants des pays les plus pauvres. Là, avec la droite libérale au pouvoir on a enfin vu ce qu’était une démocratie pleinement réalisée : les flics tapent sur tout le monde, sans discrimination. Dans un premier temps, durant les semaines précédentes et pendant le sommet, ils perquisitionnent et interpellent dans des centres sociaux et des squats politiques, puis chez des anarchistes. Dans un deuxième temps, durant la manif du samedi, ils matraquent et ils gazent outrageusement les cortèges pacifistes des partis et des grandes organisations qui ont certainement eu tort de crier sur tous les toits que la police n’avait pas été assez répressive. Mal leur en a pris, car le même jour, vers minuit, des policiers font irruption dans les locaux du GSF au nom de l’article 41. Cette loi datant des années de plomb a été spécialement conçue contre les violences politiques. Elle permet à la police d’intervenir sans mandat à partir du moment où elle soupçonne la présence d’armes dans un lieu. A l’issue de cette perquisition, on verra plus de 50 interpellés être évacués sur des civières. Il est intéressant de noter que cette opération menée par la DIGOS a été effectuée par le GOM (Gruppo Operativo Mobile), le groupe antiémeute de la police pénitentiaire. Il dépend directement du ministère de la Justice et a été créé en 1996 par un gouvernement de gauche. Il est sensé intervenir contre les mouvements de révolte dans les prisons et ne s’était pas encore fait connaître au niveau médiatique. L’opinion a été d’autant plus choquée qu’elle n’avait jamais voulu prêter attention à de telles pratiques, brutales, qui sont habituellement cachées par les hauts murs des prisons.

Pour ce qui est de la répression, nous ne pouvons faire qu’un bilan approximatif, tant la désinformation et le secret ont été utilisés par l’Etat sous couvert d’enquêtes, de contre-enquêtes et de commissions parlementaires, sans parler des médias sur lesquels il ne faut définitivement plus se faire aucune illusion. Pour tout dire, personne ne peut être certain, aujourd’hui, du nombre exact de morts pendant ces trois jours. Une jeune espagnole heurtée par un véhicule de police puis matraquée serait toujours dans le coma. Toujours est-il qu’il y a eu près de 1 500 blessés dont des cas extrêmement graves comme des comas de plusieurs jours, des opérations au cerveau, des implants de moelle épiniaire, des décollements de la rétine... Au niveau judiciaire, il reste 19 personnes incarcérées ; il y a 329 mis en examen dont 302 sur les 500 interpellés durant le G8. Une enquête a été ouverte afin de permettre l’identification et l’interpellation de 307 personnes dites « membres du Black Block » dont la police possède des photographies. Les dégâts matériels représentent une somme un peu plus importante que celle dépensée pour la mise en place du système de sécurité du G8. Au niveau politique, Agnoletto le porte-parole du GSF continue de marteler que « le Black Block est un adversaire imprévisible et dangereux » et que les forces de l’ordre n’ont pas tenu les promesses et les accords qu’elles avaient passé avec les organisations antimondialistes. Casarini, le chef des Tute Bianche, déclare maintenant que « le vrai problème n’est pas le Black Block mais les carabiniers ». Il est évident qu’il ne peut plus tenir le même discours de diabolisation des « violents » qu’il avait tenu les premiers jours, vu comment il s’est fait déborder par ses troupes et les remous que cela avait provoqué dans leurs rangs. Les bureaucraties antimondialistes institutionnelles ont bien du mal à articuler un discours cohérent par rapport à la violence, mais se trouvent contraintes et forcées de faire avec. L’Etat italien tente de se redonner une crédibilité en déplaçant tout sur le plan juridique, en laissant à la magistrature le soin de remettre en ordre tous les dérapages : une enquête a été ouverte contre 16 policiers qui sont intervenus à l’école Diaz... une plainte a été déposée par le parquet de Gênes contre certains journaux pour divulguation de fausses informations et atteinte à l’image de la police… Tout cela donne l’impression que tout le monde a un peu fait des conneries et que la justice va officier et absoudre l’ensemble. Mais il est clair que l’état a rompu le pacte démocratique, de plus en plus de gens ont perdu leurs illusions et rien ne sera plus comme avant.