Octobre 2001. La France, pays phare des
valeurs démocratiques, commémore labolition de la
peine de mort : la célébration ne sera pas un événement
national comme la dernière Coupe du monde ; mais, dans un élan
commun, nos dirigeants, nos sociologues, nos criminologues, nos philosophes,
nos intellectuels, nos artistes vont célébrer le courage
politique dont a fait preuve le premier gouvernement Mitterrand en décidant,
contre lopinion populaire, den finir avec les exécutions
capitales. Comme si la Gôche cherchait encore à redorer une
image quelle aime à se donner, celle du progrès social
et humanitaire, alors quelle na jamais fait mieux, pour ne
pas dire pire, que la droite dans tous ces domaines.
Joli tour de passe-passe !
On oublie tout simplement de dire que la France a été le
dernier pays dEurope occidentale à prendre cette décision
(la peine de mort existe encore en Belgique, mais elle na jamais
été appliquée) ; lEspagne (1978) ou le Portugal
(1975) en avaient déjà fini avec cette pratique barbare.
La France était de toutes façons dans lobligation
de se conformer pour entrer dans lespace judiciaire européen,
faute de quoi elle serait apparue comme le vilain petit canard turc exclu
de la communauté.
Quant au danger quune telle décision représentait
pour le bon peuple, prétendument avide de sécurité,
il était inexistant : le gouvernement Giscard à ses débuts
avait préparé un projet dune peine maximum de quinze
ans, qui na pas vu le jour à cause de lapparition massive
du chômage (pour masquer ce problème, comme toujours on a
parlé dinsécurité), doù labandon
pur et simple de lidée. Au contraire, dès 1978 le
gouvernement Giscard/Barre préparait un arsenal juridico-pénitentiaire
capable de remplacer plus quefficacement la guillotine. De fait,
en 1981 les socialistes nont pas aboli la peine de mort mais juste
supprimé la guillotine, et ont remplacé la peine de mort
par lenfermement jusquà la mort, pour ne pas pas parler
des exécutions sommaires dans les rues par les flics ou de la réinstauration
de la torture dans les commissariats. Jamais les peines prononcées
par les cours dassises nont été aussi lourdes,
jamais les aménagements de peines nont été
aussi chiches pour ne pas dire inexistants, jamais on ne sest autant
suicidé en prison. Nouveaux temps, nouvelles techniques, plus propres,
plus efficaces, sans effusion de sang mais tout aussi violentes et meurtrières.
En 1789, lAssemblée constituante considérait quune
peine de plus de dix ans demprisonnement était un châtiment
plus cruel que la mort. Désormais, on considère que tant
que le corps ne subit aucune torture on peut infliger tous les sévices
à lesprit. Torture blanche, mort clinique, les bourreaux
modernes se font fort dobtenir la rémission complète
des récalcitrants, avec ou sans leur consentement.
Le début des réformes contemporaines des systèmes
judiciaire et carcéral date de plus de trente ans. Les années
70, préparant lavènement de la social-démocratie
en France comme dans le reste de lEurope, auront été
particulièrement riches en mouvements, révoltes, mutineries
dans les prisons ; entre autres, les QHS ont été une cible
privilégiée des prisonniers révoltés. Rappelons
quen 1974 une bonne trentaine de taules ont été au
moins partiellement détruites. Face à ce mouvement qui posait
des questions de fond sur lexistence et les véritables causes
de lenfermement, lEtat répondait en accordant quelques
améliorations des conditions de détention. Dans le même
temps, il affinait ses pratiques répressives pour éliminer
les résistances potentielles à venir : juste après
lassassinat de Mesrine, il accouchait dune serie de lois extrêmement
dures pour casser les plus résistants.
Les années 70 ont aussi été laboutissement
de bouleversements économiques et sociaux : à lextérieur,
la mainmise de la loi du marché dans tous les secteurs a redessiné
les traits dune nouvelle définition de lexclusion.
Précarisation, assistanat, éclatement des anciennes communautés
ouvrières (mines, sidérurgie, automobiles
), traque
aux travailleurs clandestins et aux sans-papiers dont on navait
momentanément plus besoin : la nécessité pour le
capital de se débarrasser de formes de production devenues obsolètes
et peu rentables a modifié les rapports de classes au moins en
apparence. Eclatement du secteur primaire, industrialisation et concentration
du secteur secondaire, développement à outrance du tertiaire
: au moins dans les pays occidentaux, le capital commençait à
réaliser son vieux rêve, se passer de lhomme pour produire.
Restait sur le carreau une masse de précaires et dinoccupés
quil sagissait dencadrer fermement, de dépossédés
quil fallait contrôler afin de sassurer quaucune
résistance ne naisse de ce nouvel état de fait. La prison
jouait là à plein son rôle déterminant : mettre
de côté temporairement ceux qui nétaient plus
rentables, enfermer pour longtemps ceux qui dune façon ou
dune autre refusaient de se soumettre, et faire peur à tous
ceux qui auraient pu en rêver. Le fait que les peines de sûreté
voient le jour à ce moment, avec lassentiment de tous les
partis politiques, nest évidemment pas un hasard ni un phénomène
étranger à lévolution de cette société
marchande.
Il devrait être impossible pour un cerveau sain dimaginer
quun être humain puisse en enfermer un autre. Alors, que dire
de lacceptation si répandue de voir des prisonniers emmurés
à vie ou presque ? Ce délire de la longueur des peines a
atteint son paroxysme. Vingt ans en moyenne : cest devenu une mesure
du temps, dun temps économique, calculé, rentabilisé,
cest le temps dun crédit immobilier, cest le
temps de l« éducation » dun enfant
Cette norme du temps, monotone, vide de toute réelle activité,
exsangue de tout esprit daventure, peureuse du moindre bouleversement,
na trouvé comme dernier ersatz de passion que lautodéfense,
la protection à outrance des maigres conforts qui ont été
concédés au prix de la vie. On peut préférer
son magnétoscope à la vie dun homme, sans en rougir,
ou se sentir physiquement violé après avoir été
cambriolé et aller se consoler chez un psychiatre ! Cest
dans ce climat de misère que lopinion publique ne parvient
même plus à concrétiser ce que peuvent représenter
vingt ans denfermement : juste parce que lêtre humain
ne comprend plus vraiment lidée dactivité, juste
parce que lennui a gagné lensemble des vivants, juste
parce que le temps passe sans que lon en ait conscience.
Lidée de la vengeance sociale a quitté le terrain
de la lutte des classes, de lantagonisme entre les possédants
et les dépossédés, puisque, dans les pays industrialisés,
tout le monde a un petit quelque chose à défendre. Alors
la colère contenue se déchaîne contre des cas individuels
; et, comme on applaudissait auparavant aux passages de charettes de condamnés,
on sémeut aujourdhui à grands coups darticles
de presse sur la mort dun noyé dans un club merde, ou sur
une victime dun tueur occasionnel qui pète les plombs. Là
lidentification dune forme de douleur toute particulière
et personnelle, individuelle, bat son plein : faute de pouvoir dénoncer
et empêcher les crimes collectifs, de combattre les causes dune
violence sociale parfaitement légale, on se venge sur des cas isolés
offerts à la vindicte populaire. Sans rien vouloir justifier, on
peut franchement sinquiéter du fait quon se déchaîne
contre un violeur denfant alors que lon approuve un embargo
économique en Irak, ou que lon ne sindigne pas ou peu
devant des monopoles pharmaceutiques qui privent de médicaments
un continent, tuant ainsi des millions dindividus, enfants y compris.
Pour ce qui est dune véritable réflexion sur ce quils
appellent eux-mêmes le sens de la peine et le calcul des châtiments,
quon ne sy trompe pas, les récents débats parlementaires
nont absolument rien de révolutionnaire en la matière
: les députés du XIXe siècle était plus aventuriers
dans lensemble de ces questions. Après la fermeture de Cayenne,
lexécution des peines ne dépassait en général
pas quinze ans, y compris pour un condamné à perpétuité
un condamné à mort gracié pouvait sortir au bout
de vingt ans. Cétait avant lapparition des peines de
sûreté qui portent le minimum de temps dincarcération
à dix-huit, vingt, vingt-deux voire trente ans. Un perpète,
aujourdhui, subit sa peine de sûreté et ensuite attend
pendant plusieurs années une éventuelle conditionnelle il
ne peut guère espérer sortir avant davoir fait au
moins vingt-deux ans de placard.
Plus récemment, aux Etats-Unis comme en Europe, il était
de bon ton pour toute une clique dintellectuels et de politicards,
portés par un mouvement de masse et appelés à devenir
rapidement la caste des nouveaux dirigeants, dimaginer une société
avec moins de prison. Cela naura eu quun temps : aujourdhui,
les pays nordiques, qui étaient le modèle des « progrès
» sociaux-démocrates, ont tendance à saligner
sur une conception plus répressive de lappareil judiciaire
et optent finalement pour des peines plus longues.
Une poignée de criminologues avertis saccordent pour déclarer
dans leurs colloques quau-delà de quinze ans les peines ont
un effet contraire aux efforts de réinsertion voulus et contenus
dans la condamnation. Nest-ce pas mon cher ! Mitterrand avait écrit
quune peine supérieure à sept ans était néfaste
Cause toujours ! En matières pénale et carcérale,
les socialistes ont été bien plus durs que leurs prédécesseurs,
et leurs discours progressistes ne peuvent pas cacher cette réalité.
Dans une Europe qui tâtonne autour dune politique judiciaire
commune, la France et lAngleterre ont pour le moment la palme des
pays les plus répressifs. Ailleurs, les peines ne dépassent
généralement pas quinze ans. Pourtant, lorsque lon
voit linflation vertigineuse non pas du crime mais de la criminalisation
de la pauvreté aux Etats-Unis, on peut se demander si les Américains
ne serviront pas dexemple à nos dirigeants. Les résultats
économiques ne sont pas très reluisants, le chômage
continue daugmenter, et le subterfuge traditionnel de lépouvantail
de linsécurité a de beaux jours devant lui. Quelle
différence y a-t-il réellement entre Giuliani, lancien
maire de New York, qui préconisait la tolérance zéro
et choisissait denfermer les pauvres plutôt que de prendre
le risque de les voir soctroyer quelques libertés, et Jospin,
lorsquil déclare tout récemment que même sil
sait que la société entière est violente on doit
protéger les bons citoyens des mauvais et punir ceux qui dérogent
aux règles : lun dit franchement létat des choses,
et lautre le masque sous un discours édulcoré. Nuance
de langage, identité des conceptions.
Rendre lindividu toujours plus responsable des carences dun
système fondamentalement violent, faire croire au bon citoyen que
tout le monde a sa chance du moment que lon accepte le contrat social,
ignorer les causes sociales de la délinquance pour ne plus lappréhender
quau-travers de manifestations délictueuses particulières
: la technique est ancienne de tous temps, les conflits économiques
ont été travestis en différends soit nationaux, soit
régionaux, soit religieux, soit individuels, faisant de la communauté
une jungle du chacun pour soi et du tous contre tous , mais elle
saffine encore et encore. Les nouveaux changements apportés
par les projets dexécution des peines vont dans ce sens :
les pouvoirs accordés aux juges dapplication des peines fabriquent
une autre image du traitement des condamnés, sans modifier pour
autant la réalité de la condamnation. Responsabilisation,
victimisation, individualisation sont les termes clés de la «
philosophie » judiciaire contemporaine.
Une fois condamné, le prisonnier est suivi, pour ne pas dire poursuivi,
par son dossier pénitentiaire, qui servira de critère pour
toutes les demandes daménagement de peines (permissions,
semi-liberté, libération conditionnelle
). Les décisions
ne seront plus ministérielles mais appartiendront à des
commissions regroupant des directeurs de taules, des matons, des psychiatres,
des représentants dassociations de victimes, des juges et
des procureurs ; lavocat est facultatif, sur la demande du prisonnier.
Celui-ci devra avoir fait la preuve quil a bien intégré
la conscience de sa faute, et devra présenter des gages de repentir
pour quon lui permette de rejoindre la société. Il
va de soi que toute tentative dévasion, toute marque de résistance
au système pénitentiaire, toute attitude de refus de larbitraire
carcéral seront autant de mauvais points dans lobservation
du comportement du prisonnier.
De fait, on se rapproche de plus en plus dune définition
clinique de la délinquance. Le hors-la-loi nest plus vraiment
un réfractaire mais plutôt un malade : quelquefois léger
et donc susceptible dêtre guéri, dautres fois
beaucoup plus grave, voire incurable, proche de la bête dangereuse
quon doit maintenir enfermée, hors détat de
nuire. La seule violence raisonnable est celle des Etats, et encore, des
Etats dominants. Que lon trouve en prison de plus en plus de cas
dits psychiatriques, ou dauteurs de délits à caractère
sexuel, favorise bien évidemment cette vision du crime et justifie
du coup très facilement la politique des longues peines auprès
de lopinion publique. Pire encore, cela marque une différence
de niveaux des délits à lintérieur même
de la détention et place certains prisonniers dans la fonction
de juge ou de flic : outre le fait de séparer encore un peu plus
les emmurés et de donner de cette façon plus de facilités
à lAdministration pénitentiaire, cela assoit tranquillement
la logique dindividualisation des délits dans les consciences
de ceux qui en sont les premières victimes. On serait surpris si
les prisonniers devaient eux-mêmes établir une échelle
des peines.
Dehors, de la même façon, ce mouvement sépare toujours
plus les actes de leurs motivations réelles. Cette illusion de
quête de liberté enferme lindividu sur lui-même
et le pousse à trouver des explications dordre psychologique
pour ne pas dire médical à ces maux quil
nentrevoit plus comme le fruit dun dysfonctionnement social
mais comme des tares, des impossibilités particulières.
La philosophie des Lumières, lidéologie bourgeoise,
celle de léconomie marchande, définit la liberté
de chacun comme sarrêtant là où commence celle
de lautre : cest le fondement du chacun pour soi contre tous
les autres, de lesprit de démerde individuelle, de lassurance
aussi vaine que bornée quon sen sort mieux tout seul,
et donc de limpossibilité dimaginer des solutions collectives.
Celles-ci imposent que lon ait compris que lon ne peut pas
être libre tout seul. Parler de liberté individuelle est
un non-sens : la liberté nest quun rapport qui, en
se développant, dissout les barrières de la subjectivité
et construit une communauté. La liberté nest pas un
état personnel, la liberté est un rapport social. Il devient
du coup plus évident, dans une vision au rabais de la liberté,
daccepter lidée de lenfermement, même pour
longtemps.
Cest aussi cette même idée qui permet de faire passer
les critères de construction des nouvelles prisons : les taulards
toujours plus séparés, isolés les uns des autres,
comme un retour au délire cellulaire du début du siècle.
Lisolement est devenu une norme architecturale, non plus seulement
des quartiers traditionnellement à part, mais de lensemble
des nouvelles prisons. Avec toujours ce même mensonge que la réinsertion,
la responsabilisation, le repentir sont des efforts individuels qui nécessitent
de se protéger des autres, alors que bien évidemment les
seules raisons qui président à ces cahiers de charges de
cabinets darchitecte sont dordre sécuritaire, rien
de plus.
Pour le moment, bien loin de mettre en cause la notion de peine, denfermement
si lon oublie les quelques effets dannonce et les couleuvres
quon devrait avaler , le pouvoir construit, avec ses partenaires
européens, le nouvel espace judiciaire et le parc pénitentiaire
appropriés à la mise à lécart plus systématique
encore de tous ceux quon finira bien par appeler les incurables.
On ne se contentera pas dune abolition de la peine de mort. Labolition
des longues peines et des peines de sûreté nest quun
minimum. Nous savons aussi que la réduction nest quun
leurre, que la logique qui préside à la distribution de
peines délirantes nest pas que le fruit de cauchemars macabres
de quelques juges : elle appartient à un système dexclusion
qui se trouve dans lobligation de mettre de côté tous
ceux qui refusent ses règles, sous menace de voir des bouleversements
apparaître qui pourraient mettre son existence en question
Ne rentrons pas dans le piège grossier qui pourrait faire croire
quil y a un dialogue possible avec les enfermeurs : ils savent ce
quils font, ils connaissent leurs intérêts, caressent
dans le sens du poil ceux qui acceptent de collaborer et éliminent
leurs ennemis. Sans poser le problème de la nature de telle ou
telle revendication, pour le moment ce qui est essentiel est de créer
des rapports de force, une dynamique qui ouvre à une compréhension
toujours plus poussée des mécanismes de loppression,
qui construit des complicités, des résistances qui, contrairement
aux contenus des revendications, senrichissent sans cesse. Demander
des douches supplémentaires, même si cest important,
ne modifiera pas en soi les réalités carcérales :
cest lensemble des rapports que développe cette revendication,
comme dautres, qui sont porteurs de richesse. Les liens, les comportements
collectifs de refus, les réflexes acquis empêchent le train-train
de la soumision aveugle et souvent inconsciente, et rappellent à
tout instant que les enfermeurs sont évidemment les ennemis des
enfermés.
Claude Dumas : comptes cruels
Perpète en 1969 plus des peines à temps. Pas de période
de sûreté à cette époque, mais une perpète
pouvait sortir à partir de 15 ans, avec ou sans commutation. Sa
peine est commuée à 20 ans après 18 (?) ans de prison.
A 20 ans de détention, il obtient une libération conditionnelle
qui contient la durée des peines à temps, ce qui fait un
total de 42 ans de conditionnelle. Il avait fait lerreur de ne pas
demander la confusion des peines à temps après la commutation,
ce qui aurait porté le temps de la conditionnelle à 15 ou
18 ans.
Il retombe pour braquage, prend 12 ans auxquels sajoutent les 42
ans : total 54 ans de prison.
Il est aujourdhui âgé de 70 ans, il lui reste 40 ans
à faire.
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