40 MINUTES A L'OMBRE ( 2ème partie)

Cette indifférence m’exaspère. A croire que condamner une personne à la détention, c’est à la fois condamner toute sa famille. Cela n’est encore rien comparé au comportement sadique de certains surveillants qui prennent un malin plaisir à venir te chercher des poux. Je parle des énergumènes qui vous narguent à l’entrée des parloirs. Je parle de ces « fouteur de merde » qui agrémentent leur ennui en s’amusant aux dépens des autres. L’épuisement, l’angoisse, la nervosité te feraient bien commettre l’irréparable. Mais non ! Tu vas pas te mettre dans « la merde » à cause d’un c… qui s’est mis dans la tête de jouer les petits chefs. « Vous ne rentrez pas ! Ce n’est pas votre tour. » Comment ça pas mon tour ? Pas mon tour ? Alors que mon permis de visite est en règle, alors que je viens de me taper dix heures de trajet en train pour assurer le premier parloir de la semaine, alors que mon frère m’attend à l’étage avec son sac de linge sale… Je tente de faire comprendre au « garde-barrière » qu’il y a certainement une erreur dans le compte de mes jours de visite, rien n’y fait ! Au final, aucun moyen de me faire entendre : la direction, sollicitée, ne se déplace pas pour si peu. Quatre heures d’attente à compter les tours de parloir pour rien.

Les parloirs : ici, rien n’est à sa place. Ces fourgons de policiers armés jusqu’aux dents aux heures de pointe, fusils à pompe en grande évidence, alors que des enfants sont là.
Tu te tapes des kilomètres, c’est ton problème ! Alors que l’on pourrait créer des centres d’hébergement pour les familles qui viennent de loin. Il faudrait aussi pouvoir leur accorder plus facilement des temps de double parloir, voire une demi-journée de parloir.

Le service social de la prison devrait être d’avantage en contact avec les familles parce qu’elles ont un rôle primordial à jouer dans la réinsertion sociale des prisonniers. Maintenir le lien avec le cercle familial, c’est reconnaître aux détenus leur statut de père, leur statut d’époux, c’est respecter leurs parents, leurs proches. Je demande simplement au service social de la prison d’informer les familles lorsque l’un des leurs est en souffrance, quand il parle de se suicider, quand il est malade. Comment avoir confiance quand on apprend par une amie en visite à la prison que votre frère marche avec des béquilles depuis trois semaines ? Comment ne pas s’inquiéter lorsque les pompiers se pointent avec le Samu pour venir chercher un mort ? Aucun écran de protection, des images qui marquent à vie. Qui se préoccupe des enfants de détenus qui assistent à tout cela ?

Etre interpellé et roué de coups, être frappé et maintenu pendant quarante-huit heures de garde à vue, attaché sur une chaise, traité comme un chien, contraint de dormir à même le ciment, sans couverture : ces choses-là existent ! L’uniforme a tous les droits. Porter plainte ne sert à rien. Tu peux rien faire, la police est protégée. Les agents des forces de l’ordre sont assermentés par l’Etat. Porter plainte contre « une de leurs brebis galeuses » revient à porter plainte contre l’Etat. Tout le monde sait ça ! « Nul n’est censé ignorer la loi ! » Et que dit la loi ? Selon les règles fondamentales de la Constitution française (règles fondamentales dont fait partie la « liberté d’expression »), la loi dit que l’Etat a toujours raison, à moins de pouvoir prouver le contraire : c’est une autre histoire !

L’uniforme, ce qu’il représente, est responsable de cette guerre entre la police et les jeunes des quartiers. Des bombes à retardement menacent d’exploser. Les humiliations, les délits de faciès, les coups, les provocations, les abus de pouvoir sont dans les mémoires de tous ces jeunes. Leurs histoires familiales sont marquées par d’autres meurtrissures, d’autres formes de ségrégation, de discrimination, d’exclusion : ségrégation, discrimination, exclusion, ces mots-là sont dans tous les discours publics. Le fait est qu’ils ont un poids, une réalité sociale. […]

Chacun d’entre nous se doit à lui-même d’être fort. Il faut être fort en prison. En prison, y a pas le choix ! Tu endures, sinon tu craques. Et comment ne pas craquer quand on sait qu’un homme privé de liberté n’est autorisé à sortir de sa cellule que trois ou quatre heures par jour (parfois moins) pour tourner en rond entre quatre murs. La prison, c’est ça, tu tournes, tu tournes en rond entre quatre murs sans aucun but. C’est comme dans ces cours de promenade où l’on t’envoie gratuitement au manège perpétuel. Comment ne pas devenir fou ? Les cours de promenade : une autre aberration qu’il faudrait agrandir et aménager en espace vert. Un prisonnier aussi, ça respire ! Pour une famille de détenu, que tu te trouves de l’un ou l’autre côté du mur, tu vis toujours en état d’incarcération. Mon frère, voudrait-on te faire croupir dans la solitude et l’oubli, tant que j’aurai mes yeux pour voir, mes oreilles pour entendre, mes jambes pour aller et venir, tant que j’aurai la parole, je ne te laisserai jamais seul. Je pleure avec toi le temps perdu de nos vies.[…]
Derrière les serrures, derrière les barreaux, derrière les murs de prisons, un bon nombre d’hommes et de femmes sombrent dans l’oubli et la solitude. Je me fais, ici, le porte-parole de ces oubliés. Même si je n’ai pas le pouvoir légal de rendre leurs conditions de vie plus humaines, j’ai le pouvoir légitime de défendre mes convictions.
Au cours de ma vie, j’ai souvent rencontré les personnes qu’il fallait au moment où il le fallait. Merci à mes compagnes de par loir. Merci à vous, c’est dans vos regards que j’ai puisé les mots. Certains durs moments s’expriment au-delà du verbal. Les femmes que l’on côtoie au pied des maisons d’arrêt ont le même regard voilé de barreaux invisibles.
Je dédis mes écrits à tous les détenus des prisons de France, à toutes ces familles, femmes, enfants, pères, mères… qui chaque jour se battent pour soutenir leurs proches incarcérés.
Je dédie également mes écrits à tous les détenus morts, suicidés, de la maison d’arrêt de Gradignan. Que vos âmes reposent en paix ! Challah!
Je dédie encore mes écrits à tous ceux et celles, hommes et femmes de bonne volonté et de courage qui luttent pour le bien et qui résistent face à une société en voie de déshumanisation… si l’on n’y prend pas garde !