… C’est avec nos larmes
qu’ils pétrissent leur pain…

Bonjour à toute l’équipe, j’ai bien reçu le canard (L’Envolée) d’où ce petit mot pour des remerciements, inutiles, mais pour vous affranchir de la réception et surtout vous prévenir que la sortie, c’est pour bientôt. Le 16 mars, normalement. C’était pour demain, mais bon, tout le monde ne s’appelle pas Schuller… Faut dire que j’ai passé quelques jours au cachot, c’est pourquoi vous n’avez pas eu de mes nouvelles. Mais si ça tient toujours pour l’émission, je passerai vous expliquer cette métamorphose de la prison qui lui donne une dimension encore plus dévastatrice qu’hier.
Autrefois, on se battait un peu plus, même si on devait finir cassé. Aujourd’hui, beaucoup sont déjà cassés avant même de bouger ; cassés par le semblant de bien-être qui leur donne l’illusion d’être dans une prison plus humaine ; à ceux-là, je dis que dehors aussi c’est humain, non ? Et pourtant, tu as transgressé les lois et brisé tes entraves tissées de mensonges !
Les cachots existent encore avec eau chaude, matelas et draps, 24 heures sur 24. À ceux-là je dis que ce qui est dangereux dans les cachots, c’est plus la façon et la manière dont tu y es mis. Malgré l’eau chaude et le pseudo-confort, il y a encore des gens qui se font tuer en y entrant. Et puis le sentiment d’injustice est encore plus dévastateur que la peine elle-même. Et les QI, ces véritables tombeaux où sont enterrés des hommes encore vivants, parce qu’ici on enterre avant de tuer et que la mort se fait au scalpel, raffinée et sournoise.
J’ai passé trois ans en QI et tous ceux qui y sont encore ou qui y ont été le diront ; aucun confort, aucun aménagement ne peut dissiper cette atmosphère de mort lente qui vous étouffe un peu plus chaque jour qui passe. Les pharaons avaient aussi tout le luxe dans leurs tombeaux, ça ne les rendait pas plus vivants. Il faut supprimer ces deux antichambres de la mort. Nous sommes déjà floués suffisamment comme ça sur les peines que nous octroient des tribunaux factices et haineux.
Ah, qu’elle est belle la République avec son égalité, sa liberté et sa fraternité ! Un type comme Schuller qui se paye une cavale de plusieurs années à l’autre bout du monde obtient plus facilement une liberté provisoire que le petit mec de banlieue qui n’a même pas de quoi se payer un ticket de bus pour sortir de sa cité. À celui-là, on ne la lui donnera pas, sa provisoire. Parce qu’il n’aura pas de garanties suffisantes de représentation. Alors qu’il est contrôlé dix fois par jour et que la seule fois qu’il disparaîtra longtemps, c’est pour la prison.
Compagnons de l’ombre, entendez blanc pour noir, méfiez-vous des gens trop bien, ça n’existe pas !!! Ce sont des enchanteurs ; entendez-vous ces bandits de grand chemin réclamer haut et fort la tolérance zéro pour les petits filous. Ça s’appelle un politique et ça s’auto-amnistie ; ils font les lois et les peines mais ils ont les mains pleines de sang. C’est avec nos larmes qu’ils pétrissent leur pain. Etrange coutume sociale. Que sommes-nous sinon des pions sur un échiquier ? Mais quel est ce pouvoir occulte qui nous laisse croire que la liberté et la dignité sont une réalité que nous pouvons acquérir et préserver ? Au lieu de cela, nous vivons tranquillement près des tombeaux dans lesquels sont emmurés des hommes encore vivants. Si nous ne réagissons pas, nous nous réveillerons emmurés vivants, un de ces matins ; réagissons pendant qu’il est encore temps. Ce n’est pas le QI qui doit réagir mais la détention dite « normale ».
PS : Bien sûr, on peut se dire : « C’est facile pour lui de parler, il sort bientôt. » Mais, amis, j’ai cassé du béton et ma main reste tendue vers vous, ici ou ailleurs.

Serge-Philippele 6 mars 2002
M.A de Nanterre