Points sur les “ i ”


Lettre ouverte au groupe Mialet.
Michel Jolivet a eu l’élégance il y a quelque temps de bien vouloir se faire le relais d’une démarche que je milite à généraliser à mesure que se développe mon activité de metteur en scène en détention. Me battre pour trouver des emplois – de tout ordre – dans un environnement d’action culturelle aux détenus passionnés et volontaires avec qui je travaille, et ce en vue d’un aménagement de fin de peine à l’extérieur.
Vous avez reçu le CV de M. Manuel de Sena, 28 ans, jeune conteur cap-verdien, ainsi que mes coordonnées, par un courrier émanant du centre culturel de Chevilly-Larue. Je m’étonne de n’avoir à ce jour reçu aucun signe de vie, documenté ou non, de la part du groupe des 20, destinataire de ces documents. Compte tenu de l’enjeu – faire gagner deux ans de vie à un garçon qui vient d’en passer huit à l’ombre à développer force morale et culture – je m’interroge sur votre silence et ne vois pour justifier une telle incorrection que l’indifférence – administrative ou personnelle – face à l’essence du défi permanent lancé par la culture sourde de l’inégalité, ou bien la faillite d’une identité politique de base que j’imaginais pouvoir vous prêter.
Comme Nicolas à la Grande Halle de la Villette, Laurentino au cinéma Georges-Méliès à Montreuil, M. de Sena vient de trouver un emploi. De manœuvre dans le bâtiment. L’école de la vie ?
Le travail manuel d’exécution, sans horizon, sous-payé et en parti dérogatoire du droit social, offert dans le cadre des concessions privées, est un des axes pédagogiques forts de la politique de formation menée par l’Administration pénitentiaire. Il documente de façon emblématique la propagation et l’ancrage d’une pensée ultra-libérale dominante que je réfute.
Pendant des années, au sortir de ses 39 heures par semaine d’atelier, dans les bibliothèques et les activités artistiques, Manuel de Sena a su résister au laminage de principes d’exploitation archaïques que l’on croyait défunts. En attendant d’intégrer par d’autres chemins le cadre de travail et d’expression auquel il aspire, il sera à mes côtés pour la réalisation de mon prochain documentaire, associé à la conduite des spectacles auquel il fit plus que participer au CD de Melun en 1999, tirant l’équipe des détenus à un niveau exceptionnel de sens et d’engagement.

Jean-Christophe Poisson