Quelques jours après la démission de Halphen,
le groupe Mialet, association des croupiers marrons du grand casino institutionnel,
sest réuni jeudi 7 février à la maison de la
Chimie. Lévénement a eu sa place au JT de 20 heures
sur TF1 où le passe-plat habituel, avec là-propos
sublime de ses accents de Sacha Guitry, solidarité de ténia
oblige, a résumé laprès-midi des débats
en relatant lattaque en règle menée par lAssemblée
contre lempire des juges dinstruction.
Un petit tour sur le site groupemialet.org permet de dérouler les
cinq réclamations de la douloureuse confrérie du paradis
perdu. Je cite.
« Que voulons-nous ?
* Une diminution considérable du nombre des détenus, par
la multiplication des peines alternatives, et la stricte limitation des
incarcérations provisoires.
* La formation des détenus, en particulier des plus jeunes, pour
préparer leur réinsertion et éviter les récidives.
* Lamélioration des conditions de détention, matérielles
mais surtout psychologiques.
Tout cela ne nécessite pas de dépenses supplémentaires
: 10 000 prisonniers en moins, cest un milliard déconomisé
chaque année, 4 000 surveillants libérés de leurs
tâches, 4 000 postes déducateurs ouverts.
Mais nous voulons aussi :
* Quune procédure contradictoire soit instaurée en
France à la place de la procédure inquisitoire actuellement
en vigueur. Cette procédure donne tous les pouvoirs à un
juge dinstruction au détriment des droits de la défense.
Elle pousse les policiers et les gendarmes à arracher par tous
les moyens aux suspects des aveux aux cours de gardes à vue. Elle
amène les juges dinstruction à incarcérer les
prévenus pour les faire craquer et pour leur faire avouer nimporte
quoi afin de retrouver la liberté.
* Que les juges soient responsables de leurs erreurs, comme le sont les
professeurs, les ingénieurs, les docteurs, les chefs dentreprise,
les maires, ni plus ni moins. »
Je ne peux passer à côté du bonheur de démonter
point par point loutrecuidance feutrée de ce cahier de doléances,
dont lhumanisme à larraché ne parvient pas à
masquer laspiration profonde, reptilienne, pour une impunité
encore plus grande envers le crime industriel contre lhumanité
que constitue la délinquance financière macro-économique
et son imbrication dans les rouages de lEtat.
1) Saccage des modèles civiques, extension des principes démocratiques,
pulvérisation du sens des responsabilités, exténuation
des pays du Sud par le dévoiement historique de laide au
développement, les effets de la barbarie hédonistique des
puissants concourent de façon massive et endémique à
la propagation dune délinquance individuelle de plus en plus
sauvage, que le séjour en prison ne fait que sertir et documenter
un peu plus au fond des êtres.
Là où un braqueur de banque prend vingt ans pour un butin
X sans effusion de sang, quand il y a butin, un homme politique prend
entre un mois et quatre ans, pauvre chéri, pour des montants pharaoniques
irrécupérables, évaporés de la sphère
économique collective, volés aux familles, aux écoles,
aux hôpitaux, aux cités, aux structures daccompagnement
social. Le braqueur est un professionnel. Il connaît le prix à
payer. Le politique est un féodal hors règle du jeu. Traumatisé
par le sevrage des ors républicains et des conseils dadministration,
il affiche son indignité en mendiant une peine de substitution
dont il sait quil transmettra la charge concrète à
ses sherpas pour repartir immédiatement à la mine. Voire,
sil échappe à la détention préventive,
pour fondre, bardé de passeports, sur le premier jet privé
à destination sub-équatoriale.
Je vous arrête : il suffit de relire ces quarante dernières
années pour évacuer dans la seconde largument de la
relativité générale de la faute, porté par
labsence de sang sur les mains de ces pauvres victimes en col blanc.
Crimes, misère, barbarie, toxicomanie, guerres civiles, trafic
darmes, le catalogue des produits dérivés, le cortège
des morts engendrés par leur turpitude est tellement vaste quil
rajoute à lindignation ressentie en face de leur aplomb,
lhorreur suscitée par sa bestialité.
2) La formation pure des détenus, en particulier des jeunes, nest
pas la priorité structurelle des administrations pénitentiaires.
Vous ny pouvez rien, anges du tertiaire, et vous le taisez. Les
prisonniers, en grande partie les produits du vandalisme économique
sur qui vous régnez en princes farouches, sont en majorité
pauvres, voire indigents. Ils doivent travailler pour acquérir
le nécessaire vital, savon, tabac, chocolat, suicide homéopathique
par la télévision, etc. Au demeurant ils ne vous ont pas
attendus pour filer dans les classes et les bibliothèques au sortir
des ateliers. Certains avec lespoir absolument vain quils
pourront gravir les échelons dans linfrastructure vénéneuse
des concessions privées par laquelle passe laccès
au travail en prison. Vénéneuse ? Loffre demploi
y est limitée, elle constitue un levier fort du pouvoir autonome
de surveillance qui pèse à chaque instant sur la dignité
des personnes. En labsence de toute alternative sérieuse
et volontaire, conçue en termes demploi du temps, de cursus
et de contenus pédagogiques vrais, il est facile de travestir et
de comptabiliser la pression de la demande demploi en soif de formation
par le travail et de lencourager. Qui peut prétendre que
lesclavage travaux manuels abrutissants pendant des années
pour un tiers du Smic sans droit à toutes les prestations sociales
ouvertes par les cotisations est un passage nécessaire vers
linsertion ? A qui profite le Moyen Age ? A tous ceux qui, sous
lonctueux couvert judéo-chrétien du pardon, de lexpiation
et du retour dans le rang social, réhabilitent à portée
du RER et en toute impunité les règles mortelles du capitalisme
sauvage, celles qui après avoir ravagé les lointains PVD
en commençant par la base, les mômes enfants Nike
et enfants cul , reviennent en douceur irriguer lultra-paupérisation
qui fait votre fonds de commerce et le lit du libéralisme.
Ordonnance de 45 en écharpe, vous voulez préparer la ré-insertion
de sujets qui nont jamais été insérés.
Les protéger de la récidive. Normal. Il faut que la machine
tourne. A lintérieur, à lextérieur, aucun
petit soldat ne doit manquer à lappel des charges sociales
et de limpôt dont vous êtes affranchis.
3) « Le cafard est le même dans ma cellule et dans celle du
voisin » (TF1 le 7 février). Revendiquer lamélioration
de vos conditions de détention matérielles, vous les VIP
aux petits soins, vous dont les meutes davocats en visite quotidienne
jouent les inspecteurs sanitaires pour détecter la moindre infraction
aux droits de lhomme, lhélicoptère légal
des puissants, vous sur qui toute lattention de lAdministration
pénitentiaire est concentrée pour ne laisser prise à
aucun reproche, est une insulte pour les déshérités
livrés aux tâcherons du Dalloz et aux commis doffice.
Violence psychologique ? Combien dentre vous se sont fait serrer
dans les douches ? dans la cour de promenade ? Comment pouvez-vous en
parler quand vous ne connaissez pas la violence déléguée
exercée malgré eux par les détenus les uns sur les
autres ? Quand vous êtes confrontés à la crème
des gardiens à barrette qui vous écoutent le petit doigt
sur la couture du pantalon ?
10 000 prisonniers en moins cest un milliard déconomisé
chaque année ? Cest obscène. Mais où vont-ils
aller tous ces gens cassés, tous ces sur-démolis du système,
ces individus infantilisés par lassistanat, psychiatrisés
par la congélation sociale, laminés par la démission
des familles et lérosion du tissu social en lambeaux dont
ils sont issus ? Ils vont au mieux épouser les dispositifs dintégration
pansement hors les murs, RMI, emplois jeunes, HP et autres, effaçant
dun coup le bénéfice mensonger du milliard annuel
que vous avancez.
Il va aussi falloir mexpliquer très précisement comment
on peut convertir 4 000 surveillants en 4 000 éducateurs. Le concours
de gardien de prison est le plus accessible de la fonction publique, la
première marche pour accéder à la fonction publique.
Nombreux sont ceux qui réussissent sans choisir, après avoir
échoué à ceux qui mènent dans la police, aux
postes ou dans les douanes. Ils sont mal payés pour garder en vase
clos tous ceux qui, de par une origine sociale peu favorisée, leur
renvoient une image constante des effets de linjustice globale à
laquelle ils ont échappé. Image miroir quils réfutent
dans la liberté de manuvre que leur laisse à la base
lopacité du système carcéral, exprimant leur
quête idenditaire par la mise en uvre dun système
de pouvoir et de contrôle local autonome qui puise aux sources réactionnaires
les plus radicales. Je peine à imaginer la métamorphose
dun pan entier de la corporation, échangeant en masse flingues
et trousseaux contre Foucault et Wacquant, parvenant par enchantement
à transmuter en simple curiosité de lautre la haine
viscérale accumulée et tendue entre les deux côtés
de la machine à broyer les bas quartiers. Nous sommes ici en pleine
collection Harlequin.
4) Procédure contradictoire ? Inflation des inégalités
et donc contresens putassier. A un RMI la journée de baveux lambda,
on se demande qui peut réellement bénéficier dune
telle évolution du système en dehors de ceux qui peuvent
soffrir à fonds perdus les services des bretteurs médiatiques
et de leurs équipes, seules entités réellement armées
pour rivaliser techniquement avec linstitution judiciaire et le
coût de son inertie.
5) Que les juges soient responsables de leurs erreurs, soit. Mais un peu
dhumanité, que diable ! Désaisissements, délocalisations
des dossiers, disparitions des pièces, destructions darchives,
pannes de photocopieurs, pressions diverses, au moins, dans le contexte
boulevardier des affaires qui vous effleurent, quon leur concède
le droit à un minimum de fantaisie.
Voilà. Il est trois heures du matin. Lheure bienheureuse
où ne reste que le sommeil pour oublier la nausée.
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