A partir des années 1990, la région de
la Costa Montaña (Costa Chica) a connu une insécurité
grandissante. Des bandes organisées, protégées par
les autorités locales, détroussaient ceux qui se hasardaient
sur les chemins, volaient le bétail et violaient les femmes.
Les organisations productives indiennes qui étaient les premières
victimes de ces attaques ont commencé dans les années 1992/1993
à sinterroger et à chercher des solutions au cours
de leurs assemblées communautaires.
Les communautés indiennes ont coutume de désigner des autorités
responsables de la sécurité dans le village, mais cette
police ne sexerce quau sein de la communauté, elle
ne sexerce pas au-delà. Les bandes opérant sur toute
la région, les villages indiens ont donc décidé de
mettre en place une police avec 14 volontaires pour surveiller les chemins.
En 1995 est née la nécessité de nous revendiquer
comme peuples indiens et de mettre en pratique nos propres institutions,
comme la sécurité publique indigène, le commissariat
communautaire. Ce nest pas une idée qui est venue de lextérieur,
que quelquun nous aurait apportée, non, cette idée
est née de lintérieur même de la région,
de la nécessité exprimée par les habitants dassurer
leur propre sécurité.
Le 15 octobre 1995 est née la police communautaire et surtout lOCR
(Organisation communautaire régionale) au sein de laquelle se trouve
la police communautaire et la cour de justice indienne : la Coordination
régionale des autorités indigènes de la Montaña
et de la Costa Chica AC (Cramcchac). Elle se trouve à San Luis
Acatlán et est composée de six commissaires élus
en assemblée. Ceux-ci jugent les délits les plus graves
et établissent des peines de travail communautaire. Ce système
trouve sa légitimité dans les assemblées générales
communautaires au cours desquelles la population oriente et contrôle
les actions des policiers communautaires.
Les commissaires indiens ont alors informé le procureur de lÉtat,
le gouvernement et larmée de lexistence de leur organisation
communautaire, ceux-ci leur ont dit : « Mais cela ne se peut pas,
ce nest pas légal ! » A quoi les commissaires ont répondu
: « Cest que nous ne sommes pas venus vous demander la permission,
nous sommes venus vous communiquer la décision prise par lassemblée,
cest la décision des gens, et, nous, nous sommes venus vous
aviser de cette décision, rien de plus. »
Pour nous, le commissariat communautaire est une institution indienne,
elle a émergé du peuple pour le peuple, elle nappartient
à aucun groupe, aucun parti, aucune religion. La question de la
sécurité concerne tout le monde, elle nest pas le
monopole de quelques-uns.
Cest un projet qui nintéresse pas seulement la population
indienne mais toute la société, quand la population non
indigène veut, elle aussi, reprendre en main la question de sa
sécurité et quelle nattend pas une solution
du gouvernement dans ce domaine.
Nous avons décidé de ne remettre aucun prisonnier, pauvre
ou riche, à linstitution du gouvernement. Nous avons beaucoup
déléments, darguments pour expliquer ce refus. Au
Mexique, il ny a pas dégalité, au Mexique, il
ny a pas de justice, au Mexique, il ny a pas de démocratie,
au Mexique, il ny a pas de respect, au Mexique, il ny a pas
de futur.
Les policiers, les commissaires et les commandants sont désignés
par les communautés pour un service, bénévole, de
trois ans. Les délits que juge et condamne la Coordination sont
ceux que « nous considérons comme graves et qui affectent
la communauté ou la région. Par exemple, si quelquun
frappe sa femme, cela se règle dans la communauté, mais
quand le délit est grave, par exemple si quelquun vole du
bétail ou quand il y a assassinat, ce genre de délit nest
pas réglé par la communauté ». La Coordination,
après analyse du dossier dinstruction, déterminera
la condamnation en temps de prison et de travail pour la communauté
(participation à la construction dune école ou dun
chemin...)
En novembre 2001, 42 communautés étaient concernées,
11 étaient en cours dintégration, ce qui donnait en
tout 53 communautés avec 486 policiers communautaires
en uniforme et armés
Très mal armés. Cela na
pas dimportance quils soient armés ou pas. Quelquun
peut porter une arme cela ne veut pas dire quil a la raison pour
lui.
Les policiers communautaires ne sont pas salariés, ils rendent
service, à partir du moment où ils sont payés, où
ils touchent un salaire, ils ne sont plus au service des gens, ils sont
employés et cela fait toute la différence ; tout service
social doit être gratuit, cest donner son temps à la
population, à la société.
Ici, dans lEtat, il y a toujours une guerre sociale, le gouvernement
de lEtat fait toujours la guerre aux peuples indiens. Il a prétendu
que, derrière la police communautaire, il y a des groupes armés,
quil y a dautres intérêts en jeu, il dit que
nous sommes hors la loi ; nous répondons que non, nous sommes dans
la légalité : vous, vous avez la force, nous, nous avons
la raison. Nous navons pas dargent non plus.
Quel est le plus important pour vous, le problème social ou la
paix sociale ? La guerre, la guerra sucia, continue contre notre organisation,
des policiers communautaires ont été accusés de privation
illégale de liberté par un cacique voleur de vaches quils
avaient arrêté. Des gens affiliés au PRI ont apporté
de faux témoignages et des accusations, tout aussi fausses, contre
des membres de lassemblée régionale. Deux Indiens
ont participé à cette guerre sale contre nous et ont fabriqué
des délits contre les autorités du tribunal communautaire,
et nous avons dû appliquer la justice, contre les nôtres !
Cest la sale guerre, contre nos propres gens !
Nous ne voulons pas que le gouvernement nous soumette à sa volonté,
de notre côté nous ne cherchons pas non plus à soumettre
le gouvernement. Respecte-moi et je te respecterai. Nous nous coordonnons,
nous ne nous subordonnons pas. Et ce que nous voulons nest pas hors
de la légalité, cela répond à la demande des
peuples indiens, à la demande des gens
Et cest bien
le peuple, et non un groupe de quelques personnes, qui se trouve derrière
toute cette affaire de police communautaire ! Tous ont participé
à sa mise en place et continuent à prendre part à
laffaire. Cest la meilleure façon de résoudre
le problème de linsécurité, ici ninterviennent
pas des intérêts économiques, politiques ou religieux,
mais les intérêts communs à la population indigène
de lEtat du Guerrero.
A partir de là, nous avons commencé à répartir
la justice. Nous nous sommes dabord demandé quel type de
sanction nous allions fixer. Le voleur, par exemple, devait pouvoir réparer
les dommages quil avait causés à la société.
Ce fut facile. Une poule par exemple vaut 50 pesos, une vache, disons,
4 000 pesos, nous estimons la journée de travail dans la campagne
à 25 pesos (ici il ny a pas de loi du travail, de règlements,
comme en ville), le voleur devra donc 2 journées, dans le
premier cas, 160 journées, dans le second cas, de travail
à la communauté. Cest une réparation et une
éducation, ce nest pas un châtiment, nous faisons la
distinction entre les deux termes. Le châtiment est la justice que
répartit le gouvernement ; si quelquun commet un délit,
il est torturé physiquement, psychologiquement, économiquement.
Le fait de chercher à punir détruit la famille qui, elle,
na rien à voir dans laffaire et n'est pas coupable.
Plutôt que de parler de punition, nous préférons parler
déducation ou de rééducation, donner une troisième
chance à un être humain. C'est à la société
que revient la tâche de me rééduquer, non de me détruire.
Si une personne a été condamnée à un an de
rééducation, quelle va passer à travailler
pour les communautés de la région, ce temps de rééducation
peut se trouver réduit à six mois sur avis favorable des
communautés où cette personne aura travaillé. Le
condamné a donc la possibilité de se réhabiliter
rapidement. Il doit pendant son temps parcourir les 42 hameaux (maintenant
ils sont plus de 70), si, pendant les six premiers mois, il a eu un bon
comportement dans les communautés où il sest rendu,
il voit sa peine réduite à 100 %, si, au contraire, la majorité
des villages nont pas apprécié sa conduite, il verra
son temps augmenter de 50 %. Il travaille pour le village, il ne peut
pas accomplir un service de responsabilité, dautorité,
il effectue un travail banal. Les villages auront toujours un travail
à lui donner, il est nourri et logé par chaque village où
il se rend. Sa famille a le droit de saisir lassemblée des
autorités régionales qui se tient tous les quatre mois pour
le défendre et argumenter afin quil revienne à la
maison. En général il ny a pas dabus et sil
y en a parfois, ils sont minimes car il y a beaucoup de vigilance et les
gens sont très critiques et font attention à ne pas commettre
trop derreurs.
Ce besoin de justice fut le point de départ qui a permis la mise
en route et la réalisation de ce projet, dune police et dune
justice communautaire.
Notre organisation a sa propre structure régionale, elle a sa propre
autonomie.
Actuellement, nous cherchons à mettre sur pied un projet plus intégral,
nous pensons travailler sur les problèmes écologiques, éducatifs,
culturels, productifs, sur la communication et la santé.
Nous avons le projet dun relais radio entre les communautés
que nous allons administrer nous-mêmes, nous voulons favoriser une
véritable communication entre nous.
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