Les contrats locaux de sécurité

Les contrats locaux de sécurité ont été institués par simple circulaire interministérielle du 28 octobre 1997. La « gauche » arrivée au pouvoir n’a pas tardé à sévir. Et en petit comité, sans chercher à associer la « représentation nationale » à ses projets sécuritaires. Cette création est issue d’une magouille entre le gouvernement et ses gourous sécuritaires, tout particulièrement Alain Bauer, actuellement grand maître du Grand Orient de France. Ce monsieur est allé directement chez Rudolf Giuliani, le shérif de New York, chercher la bonne parole à mettre en actes chez nous.
Il en a ramené les notions de tolérance zéro, de traitement en temps réel et de police de proximité.
La mission des CLS est définie ainsi : « Constituer l’outil principal d’une politique de sécurité privilégiant l’éducation à la citoyenneté comme axe de prévention, la proximité comme objectif de redéploiement de la police et de la gendarmerie, et l’efficacité par un renforcement de l’action conjointe de l’ensemble des services de l’Etat. »
Tout un programme destiné à... programmer au millimètre l’encadrement des populations les plus fragiles, les plus malléables, les plus rejetées pour les rejeter un peu plus encore.
Pourquoi je dis magouille ? Parce que le grand gourou sécuritaire et quelques sbires de son acabit se sont arrangés pour que toute création d’un CLS soit précédée obligatoirement d’un audit. Alain Bauer est P-DG d’une boîte d’audit de sécurité urbaine, quelle aubaine mes frères ! et quel hasard heureux ! Deux boîtes se partagent le juteux marché. Alain Bauer était un proche de Michel Rocard et, aux Mureaux, terre de « rocardie », on a choisi l’autre boîte, ça aurait fait un peu trop voyant.
Le CLS a fait émerger des notions, des hommes et des actes tout à fait particuliers, nés dans l’imaginaire sécuritaire d’une gauche qui s’est fourrée dans le bec une mamelle de la droite, faute d’avoir trouvé à son goût celle de la justice sociale. Je vais citer en vrac ces nouveautés et passer mes humeurs dessus. Allons-y :
– tolérance zéro : pas besoin de faire un dessin, on ne passe plus rien aux gamins des quartiers dits « difficiles » et, pour faire bonne mesure, on ne passe rien non plus à leurs parents, prétendument « démissionnaires ». On va criminaliser tout ce qui dérange et rapprocher au maximum la case prison.
– incivilités : ces gamineries que mon père, petit paysan ariégeois, me racontait avec délectation. Les garnements ne sont plus tolérés. Ils sont incivils. L’incivilité majeure et devenue délit, c’est de mal parler aux flics : là, c’est le proc tout de suite après une garde à vue « éducative ».
– traitement en temps réel : il faut que la sanction suive l’acte de façon à être « visible » par le petit chenapan et surtout par les « victimes ». Car le sacro-saint sentiment d’insécurité est devenu dans le discours politique le malsain sentiment d’impunité. Ce dernier est à double entrée : les victimes et les flics clament que ces « sauvageons » sortent des griffes de la justice à peine entrés, et le sauvageon est censé agir avec le sentiment que tout lui est permis. Les uns crient au scandale laxiste, l’autre continue ses méfaits. C’est grave docteur ? Oui, a dit la gauche toujours soucieuse de ses concitoyens. On va remédier à tout ça. Et on a vu arriver : les délégués du procureur et les adjoints de sécurité. Une justice et une police parallèles laissées aux mains d’incompétents fiers de leur rôle vis-à-vis des populations à leur merci.
Les délégués du procureur sont très souvent recrutés parmi les flics et les gendarmes à la retraite, ou encore, et c’est peut-être plus problématique, parmi les animateurs de quartiers devenus larbins des élus sécuritaires pour mettre leurs frères au pas. Ils font de la justice de proximité, censée régler les incivilités par le rappel à la loi, le classement sous condition, la mesure de réparation. Un scrogneugneu qui tend le doigt vers le « petit délinquant et ses parents », les tance, les oblige à payer ou à faire des excuses... sinon la justice et pourquoi pas... la prison. Le classement sous condition implique qu’un homme seul décide d’imposer des conditions alternatives à la prison à des gens dont la capacité à argumenter face à lui est quasiment nulle : pas de droit de la défense, on va au plus pressé (bien montrer à la population que la justice va vite et bien). Les mesures de réparation sont aussi totalement arbitraires. Cette justice de « sous le chêne » à la Saint Louis, rendue par des gens sans légitimité ni formation, genre petits chefs tout contents d’exercer leur pouvoir sur la « racaille des cités » est moyenâgeuse. Nous allons à reculons, c’est une évidence criante.
Les adjoints de sécurité et autres médiateurs de tout acabit sont des emplois jeunes ainsi que bon nombre d’accueillants dans les maisons de justice. Une justice d’amateurs ! Une justice « locale » qui se met en œuvre par la concertation des « acteurs de terrain ». Gardiens d’immeubles, travailleurs sociaux, animateurs dûment chapitrés, enseignants, bénévoles d’associations, tout ce petit monde participe à la réunion hebdomadaire, en mairie, où l’on « détecte » les enfants et les familles « à risques ». Sans aucune confidentialité, on met sur la table la vie intime et douloureuse de gens qui ne le savent même pas. Leurs oreilles ne sifflent même pas ! On les marque dans un premier temps, puis on les harcèle, le but non avoué étant de les faire partir ou de se débarrasser de leurs enfants gênants par le placement en centres d’éducation renforcée, loin, très loin de chez eux – un bannissement en quelque sorte – ou, mieux, en les envoyant en prison.
Aux Mureaux on a fait dans la haute technologie : un centre superviseur urbain. C’est un vrai bunker où nul n’a accès, pas même les élus (hormis un ou deux privilégiés) ni les policiers municipaux. Un centre de télésurveillance par caméras, par alarmes pour les bâtiments publics et aussi, je l’ai appris à mes dépens en tant qu’employée communale, par écoutes téléphoniques totalement illégales sur certaines associations et certains membres gênants du personnel communal.
Cette structure est gérée par deux employés non fonctionnaires venus d’une société de gardiennage et... 12 emplois jeunes qui se relaient en toute illégalité devant les écrans de contrôle, en principe sous la responsabilité des deux chefs, en fait, le plus souvent et surtout la nuit, seuls !
C’est un outil remarquable pour envoyer en prison des gamins prétendument identifiés lors de troubles divers : un gamin de 16 ans le paie en ce moment à Fleury depuis six mois, pas encore condamné. Il va se faire matraquer au procès alors que de l’avis général la fumée, ce soir d’émeute, empêchait de discerner les personnes présentes. Mais sa famille a eu le tort de s’installer dans un petit pavillon dans un quartier à flics et dès leur installation on leur a dit : « On ne veut pas de gens comme vous ici [Arabes tunisiens] vous allez voir, on va vous faire la vie dure. » Le gamin est en taule et ils vont déménager ces jours-ci, épuisés. La vie leur a été rendue, oui, très, très dure, à la limite du supportable.

Il y a, dans la mise en œuvre des CLS et de leurs annexes, un mélange malsain entre les politiques magouilleurs de l’électoralisme primaire et des sociétés privées d’audit et de surveillance. Le pire c’est qu’une majorité de gogos trouvent ça très bien ! Les délirants sécuritaires jouent, hélas, sur du velours.
Il m’a même été rapporté, par une mère de famille scandalisée, que l’on propose de l’argent, et pas qu’un peu, pour jouer les délateurs : ils appellent ces charmants « collaborateurs » des « vigies de quartiers ». Notre Vigipirate à nous, pas plus valable que celui qui nous casse les pieds dans les gares et que l’on utilise pour lutter contre la délinquance sur les lignes « à risques ». Moyennant « salaire », certains habitants des quartiers acceptent d’être branchés directement au commissariat et de « signaler » tout incident qui se passe dans leur champ de vision. A moi qui ai 65 ans, ça rappelle une certaine époque....
On a ici, bien sûr, à la pointe du progrès, une maison de justice. C’est en fait la maison de la délation, de l’humiliation, de la moralisation condescendante.
Le CLS est en fait un outil redoutable de contention sociale. Les alibis de contrôle par l’autorité judiciaire – procureur et même président du TGI – sont vraiment des alibis. Cette justice et cette police dites de « proximité », créées pour donner aux bonnes gens l’assurance « sécurisante » que les sauvageons ne vont pas couper à la sanction, institue la suspicion entre habitants, le dévoiement du travail social qui devient un travail de basse police, l’occasion pour les politiques de mettre tout le pognon sur les services de répression sociale au détriment des services d’aide et de la culture pour le plus grand nombre. Ces secteurs ont vu, ici, aux Mureaux, leur budget fondre comme neige au soleil, alors que celui de la police municipale était plus que doublé et qu’était créé un service de police politico-sociale : le service de « gestion des risques urbains ». La ville, ici, a viré au bleu marine : ça flicaille à tout va. On voit du flic toutes les cinq minutes, en grappes de petits jeunes tout fiers de leur uniforme empesé, en voitures non différenciées entre celles de la police municipale et celles de la police nationale (ambiguïté savamment entretenue), à vélo, pas encore à cheval mais ça pourrait bien venir. Ça rassure les bonnes gens, mais ça ne fait pas avancer la lutte contre la pauvreté : bon, ça, tout le monde s’en fout, l’essentiel c’est que les pauvres aient peur, qu’ils filent doux et surtout qu’ils baissent les yeux devant la force publique.
Je ne parlerai pas des résultats en termes chiffrés de cette politique sécuritaire, ça ne rime à rien, et d’ailleurs, la citoyenne lambda que je suis n’y a pas accès. Non, je me contenterai de citer par l’exemple ce que tout cela a fait dans les têtes, et c’est ça qui est grave.
Un accident s’est produit hier devant mes fenêtres : un gamin, un jeune Black, s’est fait renverser par une automobiliste qui roulait trop vite et a perdu le contrôle de son véhicule. Le gamin était aplati comme une crêpe sur le bitume, au milieu du carrefour. Penchés sur lui nous faisions l’impossible pour le faire parler afin qu’il ne sombre pas en attendant les pompiers. Deux femmes scandalisées s’approchent et, sans un regard pour le gamin qui crie sa souffrance, elles disent bien fort : « Il faut appeler la police [ces dames bien ne disent pas les flics]. La moto du gamin est certainement volée, ses copains l’ont cachée derrière notre immeuble ! ». Pas un mot de compassion, pas un regard d’inquiétude pour le gosse blessé ! Elles l’auraient volontiers envoyé tel quel en garde à vue et mieux en taule ! Sans compter tous les badauds qui disaient pis que pendre sur l’attitude « irresponsable » du jeune garçon, sans même imaginer qu’il s’était fait renverser par une imbécile qui conduisait comme un pied et l’avait accroché par derrière et projeté à vingt mètres en vol plané. Heureusement, il y a eu quelques témoins de bonne foi, dont notre gardienne d’immeuble qui est quelqu’un de vraiment non raciste : il y en a un tout petit peu ici. Il faut les cultiver. C’est une de celles qui se refusent à entrer dans le rôle de kapo qu’on voudrait leur faire tenir dans nos quartiers, dans le cadre du « partenariat de terrain » avec les « gestionnaires des risques urbains ». Le procureur est soi-disant garant de la légalité des actions menées dans le cadre des CLS : non seulement il ferme les yeux sur bien des pratiques douteuses mises en place par les politiques, mais il classe toutes les plaintes contre ces mêmes politiques, en particulier celle que j’ai déposée pour écoutes illégales pendant mon congé de maladie, écoutes reconnues par un de mes collègues de la mairie (hélas ni devant les flics ni devant le proc).
Les contrats locaux de sécurité ont succédé aux conseils communaux de prévention de la délinquance (CCPD) mis en place dès 1982 par la gauche arrivée au pouvoir : on savait déjà que la lutte contre la pauvreté est avant tout une lutte contre le pauvre et on a mis en place avec zèle les outils de la contention sociale censée faire office de politique de gauche « moderne et réaliste ». Et les autres cons de la droite qui les traitent de laxistes ! Ça promet s’ils arrivent au pouvoir....

Duszka