La violence des jeunes ?
Tant qu’elle est visible y a de l’espoir

Extrait d’un entretien avec Jean-Yves, éducateur depuis 1991 en foyer de la protection judiciaire de la jeunesse (voir encart sur la prise en charge des mineurs « délinquants »).

« Il semble effectivement que l’on sente un rajeunissement de la délinquance sur le terrain, mais pas une multiplication de la délinquance soyons bien clair là-dessus(...). Les chiffres de montée de la délinquance s’appuient sur les mains courantes des commissariats, qui ne sont pas une visualisation de la délinquance mais une visualisation de l’activité des commissariats, c’est complètement aberrant !
Et tout le monde s’appuie sur ces chiffres, qui sont dus au fait que les petits délits comme les outrages ou grafittis, qui ne faisaient pas objet de poursuites systématiques auparavant et qui en font aujourd’hui, pour dire qu’il y a une montée de la délinquance ! (...). Ils ont ouvert les portes des commissariats pour inciter les gens à déposer plainte ou à signaler les faits de délinquance…
Il y a aussi la déstructuration de toute une partie de la jeunesse avec des parcours qui les ont détruits affectivement ; de la rupture du lien familial (...) à l’exclusion de plus en plus tôt des écoles : si t’es exclu, ben à force de s’entendre répéter “t’es nul, t’es nul, t’es nul”, tu finis par le croire… et la stigmatisation par exemple du fait qu’un délinquant c’est un délinquant et donc à partir du moment où t’as pas d’autre identité ailleurs, ben la seule identité possible c’est d’être délinquant : c’est par là que t’existes, puisqu’on te nomme délinquant…
A partir du moment où tu crées des ghettos (urbains ou pas), les gens se ghetthoïsent et donc tournent en rond et à un moment donné ne vont avoir qu’une seule identité possible, donc pas d’ouverture culturelle ni politique...
(...) Il y a des jeunes qui vont commettre des délits mais qui, en même temps, sont complètement fracassés dans leur tête et qui ont parfois besoin d’un soutien clinique, psychologique voire psychiatrique mais le système psychiatrique qui est organisé en France pour les plus de 15 ans, c’est de la psychiatrie adulte... donc qui enferme... la plupart du temps, il n’y a de place nulle part pour ces jeunes-là. Sans compter que ce sont souvent des jeunes qui ont connu des grands gouffres affectifs, des grands gouffres économiques, des grands gouffres sociaux…
Donc on stigmatise et on rentre dans la politique qui est définie depuis vingt ans qui s’appuie sur la théorie américaine de la tolérance zéro en les enfermant en psychiatrie, ou en détention pour les récalcitrants (...).
Ça fait depuis 1983, depuis le rapport Bonnemaison, que plus rien n’est fait dans les quartiers, les MJC ont été fermées (elles n’étaient, au demeurant, pas si ouvertes que ça) ainsi que les associations de quartier, on a empêché les gens de monter leurs projets parce qu’il fallait les introduire dans de l’institutionnel... Ça c’est la politique depuis vingt ans et ça, ça crée de l’isolement, de l’enfermement dans les souffrances affectives, sociales, économiques, dans les quartiers, les banlieues et partout ailleurs.
Quand tu vois des « Julien Dray » qui, il y a vingt ans défendaient la révolution et aujourd’hui défendent la tolérance zéro c’est qu’ils savent pas lire... Bien sûr, aux États-Unis ils ne voient plus les délinquants, mais ils ont pas compris que ça ne réglait pas le problème parce que le problème de la délinquance n’est que l’émanation et la révélation d’un problème social beaucoup plus profond.
Y a rien qui a été fait depuis vingt ans... à part les beaux discours sur la politique de proximité qui n’ont d’ailleurs été concrétisés que par la création d’une police de proximité ! Les dispositifs d’encadrement des jeunes délinquants pendant les vacances, c’est pas des éducateurs mais des CRS ! Si c’est pas ça alimenter le discours sécuritaire, c’est quoi d’autre ? Alors c’est pas étonnant que la plupart des gens pensent qu’il faut lui régler son compte à la jeunesse (d’ailleurs pas forcément délinquante parce qu’aujourd’hui, qui dit jeune, dit délinquant… alors la jeunesse immigrée, j’t’en parle même pas...). Du discours actuel qu’ont les politiques mais qu’ont aussi les voisins, et Monsieur et Madame Tout-le-monde qui est : enfermez-les, éloignez-les, laissez-les entre eux, découle le risque d’un énorme retour en arrière (...) à quand un ministère de la délinquance des mineurs ? On est dans un délire total… Il faut absolument qu’il y ait un mé-lange dans les structures car souvent l’auteur de délits a été victime et la victime est potentiellement l’auteur et le fait de mettre que des auteurs ensemble crée un ghetto de la même manière que de mettre que des victimes ensemble crée un ghetto aussi (...), il faut quand même rappeller que l’éducation surveillée historiquement, à l’origine, c’est l’Administration pénitentiaire qui en avait la charge, ils veulent enfermer tous ces jeunes-là mais nous on veut pas être des gardes-chiourmes, moi je ne suis pas un maton ni un directeur de taule…
Il faut éviter l’enfermement qui ne résout rien et qui bien au contraire crée plus de criminels et plus de fous, je pense que l’enfermement, c’est l’école du crime.
Ce qui est sûr c’est qu’il ne faut surtout pas que les mineurs aillent en détention ou dans les centres fermés. A propos de l’ordonnance de 45, c’est vrai que dans son esprit elle privilégie l’éducatif mais elle prévoit aussi l’incarcération, l’enfermement des mineurs de moins de 13 ans... La majorité pénale en France c’est à partir du moment où l’enfant perçoit sa responsabilité, à partir de 7 ans l’âge de raison, et qui juge de ça ? C’est ça toute l’ambiguïté du texte... c’est un texte pénal, de sanction, les juges se servent de ce texte pour réprimer s’ils en ont envie, c’est un texte adapté pour la répression…
On voit aujourd’hui des mineurs à qui on demande de bosser pour 500 balles par mois sous prétexte de réinsertion sociale et profesionnelle…
Réinsertion des jeunes délinquants ? les mômes sont déja très bien intégrés à la société de consommation, de business et à son modèle de réussite…
La violence des jeunes ? Tant qu’elle est visible y a de l’espoir, il faut qu’elle s’exprime… On entend parler des adolescents qui brûlent des voitures mais jamais ni des suicidés ni des toxicos… »