Y a du baston dans la taule…
Témoignage d’un prisonnier sur l’émeute de Poissy
survenue le 24 janvier 2002

J’étais dans la salle d’activité quand tout a commencé, je n’ai donc pas vu le début de l’incident, mais j’ai mené ma petite enquête, et je vais essayer de t’expliquer ce qui s’est passé ici le 24 janvier aux environs de 17 h.
Pour bien comprendre, il faut savoir que les cabines téléphoniques fonctionnent de la manière suivante : tu fais une demande de réservation à la date et heure où tu voudras appeler, ceci afin de faciliter l’accès à la cabine par tranches horaires de quinze minutes pour tout le monde. Si quelqu’un a raté son rendez-vous, ou que les cabines sont vides, tu peux quand même y avoir accès sans rendez-vous.
Le petit jeune qui s’appelle Pompé devait donc téléphoner aux environs de 17 h, il est rentré dans la cabine pour passer son coup de fil, mais n’a malheureusement pas pu joindre son correspondant, il est donc ressorti pour ne pas embouteiller et pensait y retourner pour essayer à nouveau : ce qui est logique et que nous faisons tous. Mais cet après-midi-là, c’est ladite équipe n° 1 qui était de service (des casse-couilles en puissance). Celui qui était de service au téléphone ne voulait donc pas lui laisser l’accès à la cabine une deuxième fois, sous prétexte qu’il y avait beaucoup d’autres personnes avant lui. Tu sais tout comme moi comment fonctionne la provoc dans ces asiles ! Le môme se serait pris de bec avec lui, le ton aurait monté, les insultes auraient fusé, et le maton lui aurait donné un coup de boule. Version maton, ce serait Pompé qui aurait donné le coup de boule ! Je n’étais pas présent, je ne saurais donc pas te dire qui a donné ou pas donné ce coup de boule. Mais d’après ma toute petite expérience (de pratiquement 18 piges dans ces putain de murs) il m’a très rarement, pour ne pas dire jamais, été donné de voir un maton se faire insulter sans réagir ! Surtout avec les jeunes de maintenant qui n’ont pas leur langue dans leur poche !
Mais peut-être que ce saint homme est un adepte de Gandhi, puisqu’il aurait encaissé les insultes et se serait même laissé mettre un coup de boule d’après la version des matons ! Toujours est-il qu’ils lui sont tombés à quatre dessus pour le traîner au mitard. Les mecs qui à ce moment passaient par là ont été prévenir les autres que les matons étaient en train de traîner manu militari leur pote au cachot. Tous les jeunes, que d’ailleurs les matons de l’équipe appellent la racaille, sont donc venus aux nouvelles pour savoir et comprendre ce qu’il s’était passé ; mais le directeur, qui règne sur la centrale comme un petit seigneur sur son domaine, a comme à son habitude refusé tout dialogue et c’est par des menaces de sanctions qu’il a fait répondre aux demandes d’explication des jeunes par l’intermédiaire d’un jeune surveillant-chef (Trouflot). C’est d’ailleurs à ce moment-là que nous sommes arrivés sur la cour devant la détention et avons même conseillé à Trouflot de sortir Pompé du cachot et faire ainsi redescendre la tension. Puisqu’il y avait des rumeurs de tabassage, ils verraient ainsi de leurs propres yeux l’inexactitude de ces rumeurs parce que nous voyons très bien que cela pouvait finir en prise d’otage. Mais Monsieur Voiturons, le directeur, qui est seul habilité à prendre ce genre de responsabilité, n’a rien voulu savoir et a préféré sacrifier ce pauvre Trouflot qui n’a rien compris au film ! D’ailleurs devant l’obstination de Voiturons à refuser tout dialogue, les trois matons qui escortaient Trouflot dans la cour l’avaient déjà lâchement abandonné pour aller se planquer avec les autres derrière les vitres blindées du rez-de-chaussée de la détention et c’est là que tout est parti en vrille : l’exaspération généralisée due à la politique d’asphyxie de Voiturons fait que personne n’a cherché à calmer les prisonniers. Nous leur avons quand même conseillé de ne pas le prendre en otage parce qu’il n’y aurait pas grand monde pour assurer sa protection et je crois bien qu’il aurait été drôlement malmené.
Ils lui ont donc arraché ses clefs et ont ouvert les sas qui donnent accès aux différentes cours pour permettre aux mecs qui, n’étant pas informés de l’incident, étaient restés coincés dans les différentes salles d’activité que les matons n’avaient pas oublié de fermer avant de battre des records olympiques du 100 m. Les mômes s’en sont donc donné à cœur joie en commençant à casser tout ce qui pouvait de près ou de loin ressembler à une vitre, y compris la salle informatique, la bibliothèque, le gymnase, la cuisine et le poste de contrôle central, qui ont mystérieusement pris feu. Mais après quelques heures de ce joyeux petit feu de Bengale, nous avons pris conscience qu’il fallait faire quelque chose : les mecs en détention, que les matons avaient pris soin de bien boucler dans leurs cellules avant d’abandonner la détention (même ceux du premier étage qui ont normalement la porte ouverte), commençaient à s’étouffer à cause de la puissante fumée toxique qui s’échappait du brasier. Nous nous sommes donc relayés pour remplir d’eau des grosses poubelles et essayer d’éteindre le feu pendant que d’autres rentraient à leurs risques et périls dans la détention pour ouvrir les portes des cellules qui étaient déjà complètement enfumées et plongées dans l’obscurité puisque l’électricité avait été coupée avant même le départ du feu. Nous étions trempés et frigorifiés mais bon, pour nous qui savons ce qu’est une cellule, entendre des mecs hurler à la mort coincés dans ce genre de putain de cercueil en béton, je peux te dire que ça fout les boules et tu n’as qu’une seule chose en tête, sortir ces pauvres mecs de là.
Après cette petite montée d’adrénaline, nous n’avions plus grand-chose d’autre à faire que d’attendre patiemment les gentils petits CRS qui, dans un premier temps, avaient commencé à nous menotter mais qui, après négociations, ont fini par comprendre qu’il n’y avait pas de nécessité d’employer la force. Ils nous ont donc parqués dans un coin de la cour de promenade (sans menottes) le temps de faire le constat des dégâts et que ces messieurs courageux de la pénitentiaire fassent leur petite liste de prétendus meneurs qui ont été 14 à être balluchonnés le soir même, et ça continue puisque nous sommes maintenant à 22 balluchonnages dont les deux mecs qui ont vu le début de l’incident et qui sont allés prévenir les potes de Pompé. Les témoins directs n’étant plus présents, ils ont étouffé l’information dans l’œuf ! Voici la liste de ceux qui sont déjà partis, à quelques noms près : Benchaa, Benazza, Demir, Tonco, N’Guyen, Challack, Nebourou, Jean-Pierre, Pomier, Guilleminot, Mamouni, Boumedienne, Maiouf, Carlier, Bakalayane, Pompée, Guinnon, Cassante.
Et ça devrait continuer d’après les rumeurs. J’espère que ça fera prendre conscience à Voiturons et à tous ces petits ronds-de-cuir qui ne connaissent rien du terrain qu’une centrale ne peut en aucune façon se gérer comme on gère une maison d’arrêt, parce que quand on bouche la soupape d’une cocotte-minute, elle explose, c’est mathématique. En tout cas ces p’tits jeunes nous auront agréablement surpris parce que tout le monde s’attendait à ce que ça explose mais personne ne s’attendait à ce que cela vienne d’eux. Ils ont donné une formidable leçon d’amitié et de solidarité à ceux qui se sont malheureusement oubliés en chemin et font le jeu des matons. Faudrait pas les oublier parce que contrairement à ce que disent les médias, tous ces jeunes étaient pratiquement en fin de peine et le proc, qui était en visite ici le samedi 2 février, a promis à Voiturons qu’il les ferait chèrement morfler puisqu’il est le responsable du TGI de Versailles.