Madame la ministre
Monsieur le directeur de Fresnes ,

Je viens par la présente vous faire part d’un certain nombre de problèmes concernant nos conditions de détention à la MAF de Fresnes, et de certaines revendications par rapport à celles-ci, au nom d’un bon nombre de détenues…
Je débuterai par ce mot d’ordre
HUMANISONS LA PRISON
Nous ne sommes ni des moutons, ni des robots, ni des esclaves !
Vous n’êtes en rien nos bergers, ni nos dirigeants, ni nos supérieurs, ni nos maîtres !
Au moins pouvons-nous considérer que nous avons tous en commun la qualité d’être humain, alors pourquoi ne pas se comporter comme tel ?
Avant tout, pourquoi ne pas se respecter les uns des autres ?
Évidemment, se respecter ne signifie absolument pas abolir la barrière séparant les détenues du personnel de l’AP, car quoi qu’on fasse ou qu’on dise, vous et moi savons très bien qu’elle existera probablement toujours…
Cependant, il nous semble que travailler en prison n’est facile pour personne donc à quoi bon rendre cette cohabitation encore plus difficile ?
Ainsi pourrions-nous améliorer nos relations dans l’intérêt de tous !
Dans ce sens, pourquoi ne pas mettre un terme aux insultes émanant de chacune des parties (celle privée de liberté et l’autre exerçant simplement son métier) ? Ainsi qu’aux agressions verbales en tous genres ? En effet, pourquoi ne pas remplacer le classique « Fermez-la ! », trop souvent utilisé par les surveillantes à notre égard par la formule d’usage neutre « Taisez-vous SVP ! »
D’ailleurs, permettez-nous de vous signaler à ce sujet qu’il suffirait d’une injonction de la part de votre Ministère ou de la direction de l’AP pour en finir avec la plupart des altercations de ce genre puisqu’elles ont généralement lieu lorsque nous discutons tranquillement entre nous dans les escaliers ou dans les étages lors des différents mouvements, or nous avons lu intégralement le règlement intérieur de Fresnes, et nul article ne nous l’interdit, par conséquent, nous dénonçons cette consigne totalement arbitraire ! (ainsi que l’interdiction absurde de se promener les mains dans les poches au sein de l’établissement).
Peut-être pourriez-vous nous expliquer le bien fondé d’une telle interdiction car nous ne la comprenons pas : nous sommes désolées, mais nous ne sommes pas des robots pour obéir sans réfléchir aux ordres qu’on nous donne, voyez-vous, en tant qu’êtres humains, nous éprouvons le besoin et le désir irrésistible de communiquer avec nos semblables quand nous nous trouvons en leur présence.
Dans le même ordre d’idées, nous nous posons également la question suivante : pourquoi nous répondre « non » sur un ton méprisant, voire haineux lorsque la demande a été formulée poliment et gentiment ?
Autant que les choses soient claires, à ce moment-là, si c’est le mépris et la haine que nous sommes censées apprendre ici.
Personnellement, quand on m’a envoyée ici, on m’a carrément dit, mot pour mot : « Vous verrez à Fresnes on va vous éduquer », autrement dit, j’étais censée apprendre ici les règles de la vie en société. Mieux, me socialiser !
Alors permettez-moi de vous dire qu’on nous socialise étrangement à Fresnes !
En effet, une des règles de base n’est-elle pas la politesse ?
Les surveillantes ne devraient-elles pas montrer l’exemple en utilisant les règles d’usage ?
Il me semble qu’une communication entre le personnel pénitentiaire et les détenues dans un langage correct serait plus propice à instaurer un climat agréable dans la détention.
Alors pourquoi tant de provocations, de méchanceté gratuite, de sadisme, de vexations ?
Pourquoi tant d’attentes et de fouilles ou palpations inutiles et dégradantes ?
S’il vous plaît, n’invoquez pas la raison de sécurité car à l’heure actuelle, il existe bien des dispositifs électroniques qui pourraient tout à fait se substituer à la pratique courante, bien trop humiliante et inefficace qui consiste à se baisser et à tousser afin de vérifier que rien ne tombe de votre anus…
Tout cela constitue une véritable pression psychologique qui ne peut que nous anéantir mentalement et socialement.
Pourquoi exercer également cette pression vis-à-vis de nos familles lors des visites ?
Pourquoi les traiter comme des coupables ? Les a-t-on condamnés aussi ?
Que leur reproche-t-on ? de nous soutenir, sans aucun doute ?
Mais que fait-on de l’importance accordée au maintien des liens familiaux que la Justice proclame dans les textes ?
Pourquoi cette contradiction entre les idées et les faits ? La théorie et la pratique ?
Ne sommes-nous pas censées apprendre à assumer les conséquences de nos actes, à assumer nos idées, notre façon de penser ?
Et vous ?
Par ailleurs, de quel droit le personnel pénitentiaire se permet-il d’entraver la solidarité entre détenues ?
Pourquoi refuser, soit systématiquement, soit arbitrairement (selon les surveillants), de faire passer livres et revues, nourriture (cantines) ou vêtements entre détenues ?
Est-ce dans le but de nous enseigner l’individualisme, valeur suprême du dehors, voire l’égoïsme ?
Alors une société peut-elle fonctionner sans entraide, partage et solidarité ?
Une de valeurs fondamentales de la république n’est-elle pas la fraternité ?
Cela ne vous suffit-il pas de nous priver de liberté ?
Pourquoi ne pas développer les activités sportives et socioculturelles ?
Pourquoi ne pas élargir notre horizon en organisant des spectacles (musique, théâtre, etc.) ?
Sachez qu’il existe au sein de la MAF des locaux disponibles à cet effet, sous-utilisés (notamment, une salle de musculation à laquelle la majorité d’entre nous n’a accès qu’une heure trente par semaine, ainsi qu’une salle polyvalente où nous pourrions nous retrouver, ne serait-ce que pour étudier ensemble ou organiser des jeux de société et jouer aux cartes…) Mais ceci nous est interdit aussi.
À vrai dire, nous connaissons tous la réponse : « pour avoir la paix » dans l’établissement, pour faire de nous des sujets bien obéissants, des zombies qui subissent, et jamais ne contestent ni ne protestent et qui ne réfléchissent pas non plus sur le sens et la portée des actes qui ont pu les conduire ici, ni ne méditent sur leurs choix de vie…
Que cherchez-vous finalement en nous assommant à coup de médicaments ?
La tranquillité, sans aucun doute. Mais à quel prix ?
Justement tous ces médicaments ne coûtent-ils pas cher à la collectivité, à l’État ? Et le trou de la sécu alors ? Et la citoyenneté ?
La tendance actuelle n’est-elle pas d’inciter les individus de ce pays à se comporter en tant que véritables citoyens ?
Or, vous savez comme moi que cela ne se résume pas au simple fait d’aller voter…
Mais plutôt à agir au sein de et pour la communauté.
Alors pourquoi ne pas nous en donner les moyens ?
Pourquoi persister à nous infantiliser, à nous déresponsabiliser, à nous tenir à l’écart, le plus éloignés possible de la réalité ?
De quoi la Justice et la Pénitentiaire ont-elles peur, pour nous empêcher de vivre consciemment ?
Vous espérez sans doute nous faire perdre l’habitude, l’envie ou la force de lutter, d’assumer nos responsabilités, de prendre des décisions et de faire des choix…
La prison n’a-t-elle pas comme objectif de nous permettre de réfléchir sur nos actes afin d’être différents en sortant ?
Une autre question nous parait essentielle, elle concerne une valeur fondamentale dans notre société : le travail.
En effet, pourquoi permettez-vous l’exploitation de la main d’œuvre carcérale ?
Pourquoi pénaliser les détenues — qui travaillent (à l’atelier) déjà dans des conditions déplorables — en leur prélevant un tiers de leur salaire et en leur interdisant la participation à toutes les activités (hormis les cours d’alphabétisation), et surtout en leur prélevant une somme de 300 F pour « frais d’entretien » ? Vous nous répondrez sans doute qu’en réalité, notre système social fonctionne ainsi, c’est à dire que les actifs paient pour les inactifs par le biais de prélèvements (de cotisations) sur les revenus du travail…
Cependant la base sur laquelle sont effectués les prélèvements en milieu carcéral est bien moindre (environ 5 fois si l’on considère l’écart entre le SMIC et un salaire de 1000 F ici).
Comment pouvez-vous affirmer qu’il est légitime de leur prélever autant d’argent sur des salaires déjà si bas ?
N’est-ce pas une forme d’esclavage moderne ?
Ne sommes-nous pas le pays des Droits de l’homme ?
Pourtant l’article 23.3 de la fameuse Déclaration Universelle des Droits de l’Homme stipule que : « quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi jusqu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine… »
Enfin, que pensez-vous obtenir en plaçant une détenue au Quartier Disciplinaire pendant 45 jours ?
Si le seul but est de punir, n’y a-t-il pas d’autres alternatives ?
Pensez-vous que l’unique solution est l’enfermement ?
C’est vrai, à l’extérieur déjà, vous préférez incarcérer à tour de bras des pseudo-délinquants, et à l’intérieur le même phénomène se reproduit : lorsque par exemple, un(e) détenu(e) use de violence pour « se faire remarquer » (c’est à dire en fait pour être écouté, parce que les paroles sont vaines) on l’enferme encore une fois, au mitard, la taule dans la taule.
Votre objectif est-il d’anéantir totalement la personne, de la détruire psychologiquement en la privant de choses aussi essentielles que le soleil (la lumière du jour) ou le dialogue, la possibilité de communiquer avec ses semblables ?
Pourquoi ne pas éviter autant que possible le recours à cette mesure disciplinaire inhumaine ?
Toute votre démarche de conditionnement, permise par un pouvoir absolu et arbitraire de la Justice et de la Pénitentiaire, a pour unique but d’instaurer une atmosphère d’agression et de violence et de destructurer l’individu psychologiquement, de le casser, de le détruire intérieurement, ceci ne pouvant que faire naître ou entretenir un désir de vengeance, de revanche et accroître la haine de la détenue envers ses geôliers (et envers la société, puisqu’ils la représentent).
Finalement qu’y gagnons-nous ?
À part de la violence, des peines plus longues, voire des morts…
Qu’y gagnez-vous ?
À part de la violence, des blessés, voire des morts…
Depuis nos pays calmes et pacifiés, soi-disant développés, « civilisés », ne condamnons-nous pas d’ordinaire toute forme de violence ?
Voilà, apprendre à se respecter, s’entraider, permettre un accès plus large aux activités sportives et socioculturelles, travailler en échange d’une juste rémunération pour moins d’injustice, tout cela n’irait-il pas dans le bon sens ?
Tout cela ne contribuerait-il pas à une meilleure insertion sociale ?
Les systèmes judiciaire et pénitentiaire ont-ils pour unique mission de punir et de surveiller, c’est-à-dire de gérer le présent punitif, ou souhaitent-ils réellement insérer les futurs anciens détenus ?
N’est-ce pas l’objectif prioritaire ?
Si nous sommes temporairement exclues de la société, n’est-ce pas dans le but de la regagner meilleures qu’auparavant ?
Ou bien s’agit-il d’une exclusion sociale définitive ?
En effet, la prison actuelle ne permet en rien de devenir meilleur, ni de prendre ses responsabilités ; toutefois, puisque nous en exprimons le désir, pourquoi persister à nous en empêcher ?
Pourquoi ne pas réfléchir et chercher des solutions ensemble pour changer ?
Comme vous pouvez le constater, nos revendications sont nombreuses et nous tenons à vous informer que nous soutenons également nos camarades basques Julia Moreno et Monica Martinez (actuellement au mitard et ce depuis 11 jours) dans leur lutte pacifique, et nous vous avertissons que nous n’hésiterons pas à aller plus loin en cas d’inertie de votre part.
2001, l’année des réformes judiciaires et pénitentiaires…
Pourtant, si peu de choses ont changé en réalité !
À ce sujet, inutile de se demander combien de nouvelles lois ont été appliquées sans avoir consulté ne serait-ce qu’un(e) détenu(e) ?
Or, si l’on prenait comme exemple le prétoire, ne serait-il pas contraire au principe républicain de débat contradictoire, dans lequel chacune des parties concernées (l’État, la défense, l’accusation) a le droit à la parole ?
De même, l’article 19 de la Déclaration Universelle stipule que : « Tout individu a droit à la liberté d’expression… Ce qui implique le droit de répandre les informations et les idées par quelque moyen que ce soit »
Or, nous subissons pourtant une censure généralisée et n’avons donc aucun moyen de nous exprimer librement !
Si l’on prenait l’entreprise comme élément de comparaison, nous tomberions d’accord qu’en son sein, les réunions n’ont pas lieu en l’absence des principaux intéressés, les salariés ?
Vous n’êtes certes pas nos patrons, mais comme vous vous considérerez comme tels pourquoi ne pas convier les représentants de détenus à vos « réunions » et nous faire ainsi participer activement aux réformes nous concernant ?
Puisque nous l’aimons tant, nous citerons l’article 20 de la fameuse Déclaration des Droits de l’homme : « Toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifique ».
En conclusion, nous pensons que l’essentiel consiste à tout faire pour s’améliorer, ne pas commettre les mêmes erreurs, mais avancer.
Alors, s’il vous plaît, donnez nous en la possibilité !
Sur ce, veuillez agréer, madame la Ministre, l’assurance de nos salutations distinguées.
Les pétitions étant interdites, je serai la seule à apposer ma signature ici-bas, cependant, une vingtaine de détenues sont prêtes à signer avec moi si cela pouvait donner plus de poids à cette lettre…

Mlle Chenu Audrey
MAF de Fresnes